Les enfants déportés de France vers les camps nazis sont surtout des enfants juifs.
Déjà, en prison, puis à Drancy, les conditions d'hygiène sont déplorables, avec l'entassement des détenus, avec l'alimentation insuffisante en quantité et en qualité.
Dans les wagons du train de déportation les enfants souffrent comme les adultes.
Les mères avec nourrissons sont mises dans les wagons-infirmerie avec les grands malades et les fous. Elles n'ont pas de linge propre, ne disposent pour préparer les biberons que d'eau froide non bouillie. Elles s'efforcent de pallier à cet état de choses et se consolent en pensant à l'arrivée prochaine.
Dès l'arrivée en gare d'Auschwitz, les enfants en dessous de 14 ou 15 ans sont groupés avec les vieillards et la plupart des femmes et conduits à Birkenau, vers la chambre à gaz.
Dans des cas particuliers, aucun tri n'est effectué. Il en est ainsi de convois d'enfants partis de Drancy.
Ces convois sont composés uniquement de tout petits enfants. Toutes les pièces d'identité et tous les signes permettant de les reconnaître ont été supprimés. Us sont accompagnés de quelques infirmières ou assistantes sociales qui se sont attachées à eux déjà dans les maisons d'enfants dans lesquelles ils se trouvaient au moment de leur arrestation. Ces convois sont gazés intégralement dès leur arrivée.
J'ai connu l'ancien Lagerälteste de l'hôpital de Birkenau, vieux communiste bavarois, arrêté depuis 1933, ayant survécu à Dachau, à Buchenwald de la grande époque et à Auchswitz du début. Il égrenait parfois ses souvenirs. Je ne puis oublier l'un de ses récits. Un soir d'été, il était assis devant un block de l'hôpital de Birkenau. Un camion est tombé en panne, venant de la gare. Ses occupants suivent à pied la route qui longe l'hôpital et les petits enfants s'échappent malgré les S.S. Us vont cueillir des fleurs au bord de la route, en font un bouquet et le portent à leur maman. La route qu'ils suivent aboutit à la chambre à gaz.
Certains de ces enfants, cependant, ne sont pas tués dès leur arrivée. A Auschwitz, par exemple, les garçons de plus de 14 ans sont parfois joints aux hommes valides.
Quelques autres, plus jeunes, se dissimulent auprès des hommes, tel ce jeune garçon de 12 ans que nous vîmes à Monowitz. Il est arrivé en gare d'Auschwitz avec toute sa famille. Chargé sur un camion avec sa mère et ses sœurs, il a sauté de celui-ci et a rejoint son père et son frère, ce qui l'a sauvé. Dans d'autres camps, quelques enfants plus jeunes ont échappé à l'extermination. Certains sont âgés de moins de 8 ans, mais ces cas sont exceptionnels.
Que deviennent ces enfants, très peu nombreux ? Us arrivent dans le camp et partagent la vie de tous les détenus, subissent, comme ceux-ci, le froid, la faim, les coups, pleurent de souffrance dans leurs galoches en bois, sont exténués par un travail trop dur et subissent des chocs émotifs répétés.
Souvent certes, les adultes aident ces enfants, les camouflent dans des blocks, leur donnent un travail moins rude à l'intérieur des bâtiments, les utilisent pour les petites courses des kommandos. Ils s'efforcent de leur procurer de la nourriture supplémentaire, soupe ou pain. Dans certains camps, les vieux détenus politiques allemands ont bien organisé l'aide aux enfants. Ils les cachent, tel ce petit juif polonais, arrivé à Buchenwald à l'âge de 3 ans avec son père. A trois reprises, il est appelé par les S.S. à la porte du camp, ce qui implique une condamnation certaine. Seule l'attitude énergique des détenus politiques le sauve et le maintient dans le camp jusqu'à la libération.
Mais il faut aussi défendre ces enfants contre les homosexuels, particulièrement nombreux parmi les détenus allemands de droit commun. Ils allèchent les enfants par l'offre de nourriture, par du saucisson ou du beurre, qu'ils savent se procurer en trafiquant avec la soupe ou les effets de leurs administrés, par l'offre d'un pull-over ou d'une paire de souliers en cuir. Ils les attirent par la promesse d'un travail moins rude, d'une couche pour eux seuls, par un peu de gentillesse aussi. Puis, ils leur expliquent leur besoin de tendresse et d'amour, leur montrent des livres suggestifs ou bien se font brutaux, menaçant les enfants de coups, de représailles. Si l'enfant se refuse à eux, ils n'hésitent pas à le battre, parfois à l'étrangler pour supprimer un témoin gênant. Ainsi un soir, à Monowitz, un enfant manque à l'appel. On le recherche à l'usine. On le retrouve sous des sacs de ciment, respirant avec difficulté. Il a résisté à son kapo qui l'a étranglé et assommé. Le lendemain matin le kapo est trouvé pendu dans son cachot.
Le travail en commun des médecins et des vieux détenus politiques permet parfois de prendre les mesures nécessaires pour écarter du camp les homosexuels dangereux et les envoyer dans de mauvais kommandos, dans certaines mines par exemple.
Dans ces conditions de vie, quel est l'avenir de ces enfants ?
Dans les éventualités les meilleures, on note, avec une fréquence extrême, une maigreur prononcée, du rachitisme, de la cyphoscoliose. La tuberculose ganglionnaire ou pulmonaire, les pleurésies, les entérites sont également fréquentes. Un fait est constant : le ralentissement, sinon l'arrêt, de la croissance staturale et pondérale. A Buchenwald ou Bergen-Belsen, par exemple, où les enfants sont un peu plus nombreux, on est frappé de leur petite taille et aussi de leur esprit de petits vieux. Parfois les enfants sont véritablement squelettiques.
Comme on peut l'observer chez les adultes, certains enfants s'effondrent moralement et se présentent sales, très pâles, le regard vague et anxieux, répondant à peine aux questions qui leur sont posées. D'autres, au contraire, gardent leur équilibre, restent propres, polis, affectueux.
Qu'il me soit permis de donner des exemples de deux comportements d'enfants.
Un de ces enfants est un jeune Luxembourgeois, arrivé à l'âge de 13 ans 1/2, avec son père et ses frères à Treblinka, un des camps d'extermination du secteur de Lublin. Pendant trois mois, ils sont affectés au Sonderkommando, chargés du transport des cadavres de la chambre à gaz au crématoire. Du matin au soir, la seule fonction de cet enfant consiste à explorer le vagin des cadavres féminins afin de rechercher les bijoux, les brillants qui auraient pu y être cachés. Après trois mois de cette occupation, il est volontaire pour une des plus mauvaises mines de Pologne. Son père et ses frères refusent de partir avec lui et, quelques jours après son départ, sont gazés comme de coutume. Un an plus tard, sauvé' à plusieurs reprises par miracle, il se présente avec un aspect de déchéance assez prononcé, ne se lave guère, a des insomnies avec des cauchemars et des crises convulsives. L'analyse par un psychiatre de son équilibre mental et nerveux eût été du plus haut intérêt.
L'autre garçon, âgé de 14 ans, a été arrêté à Lyon avec ses parents. Le père a été tué à la prison de Lyon, la mère déportée avec lui en est séparée dès l'arrivée. Il refuse de travailler sous une forme quelconque pour les Allemands. Il serait temps, m'explique-t-il, en me regardant d'un œil vif et avec une allure décidée, d'apprendre un métier en rentrant en France, car, à ce moment, il aura la charge d'un jeune frère, âgé de 8 ans, que la Gestapo n'a pas trouvé.