La sélection est l'opération qui consiste à choisir les détenus qui seront envoyés à la chambre à gaz. Elle a lieu à l'infirmerie et dans le camp.
A l'infirmerie survient brusquement l'ordre du médecin S.S. de préparer la sélection. Il faut lui présenter tous les malades qui sont en traitement depuis un certain temps, trois ou quatre semaines selon les sélections, les malades dont la durée probable de traitement atteindra ce délai, les A.K. (Allgemeine Kôrperschwàche), c'est-à-dire ceux qui sont dans un état de déchéance physique assez prononcée, les tuberculeux et, parfois, les contagieux (scarlatineux", diphtériques, etc.). Bref tous ceux dont le rendement prochain sera insuffisant. Il en est de même, à certaines périodes de l'année, de tous ceux qui ont eu antérieurement du paludisme, même si le dernier accès date de 20 ou 30 ans auparavant.
Dans le camp, la sélection se passe de la manière suivante : Brusquement, un soir, après la rentrée du travail, une « Blocksperre » est sonnée et annoncée. Les blocks sont consignés et aucun détenu n'a le droit de quitter son block. Dans chaque block passent soit des S.S. (exceptionnellement le médecin S.S., rarement le sous-officier infirmier), soit habituellement des médecins déportés. On fait défiler devant eux, d'un pas accéléré, la totalité des détenus de ce block, nus de face et de dos. Tous ceux qui sont très maigres sont inscrits sur une liste, même s'ils ne se sont jamais présentés à l'infirmerie depuis deux ans, par exemple, et s'ils donnent pleine satisfaction à leur contremaître (Meister). Il faut avoir vu les S. S. ou les médecins inspecter la région fessière de ces hommes amaigris ; un large espace baille entre les cuisses bien que les pieds soient réunis ; les fesses sont réduites à un petit sac de peau plissée et entre elles on aperçoit tout le périnée et les bourses ; l'anus se présente au fond d'un profond entonnoir. Dans les cas douteux, on soupèse les fesses pour voir si, dans ces sacs fessiers, il persiste un peu de muscle. Au cours de ces sélections, les Blockâlteste et les Kapos ont un rôle important car ils peuvent défendre un détenu, souligner son rendement au travail et le faire rayer de la liste. Inversement, ils peuvent facilement se débarrasser de déportés qui ne leur plaisent pas.
La sélection a lieu, à l'infirmerie, tous les 15 jours en hiver, et plus rarement en été. Dans le camp, elle a lieu trois à quatre fois par an. En automne 1944, avant la destruction des chambres à gaz de Birkenau, il fut procédé à une sélection massive dans le camp de Monowitz.
L'importance du rôle du médecin détenu en ce qui concerne le nombre des détenus présentés pour les sélections est à souligner. Certains médecins polonais brillent par leur ardeur à présenter le maximum de sélectionnés. Il est vrai qu'ils ne retiennent guère d'aryens. Dans telle sélection effectuée à l'infirmerie, le médecin-chef polonais détenu présente 600 malades et le médecin S.S. n'en retient que 300 pour la chambre à gaz. Les médecins français refusent de participer à de telles opérations. Us sont qualifiés de « saboteurs ».
Pour diminuer les difficultés psychologiques inhérentes à chaque sélection, les médecins S.S. ne parlent pas, bien entendu, de chambre à gaz et présentent chaque fois l'opération d'une autre manière. Tantôt il s'agit d'envoyer les détenus fatigués, amaigris, se reposer à l'hôpital central de Birkenau, tantôt il s'agit d'envoyer ces détenus dans des kommandos ou dans des camps annexes moins durs, usines d'armement où les baraquements sont dans la cour même de l'usine. Tantôt, ils font établir à côté de la liste des gens très fatigués une seconde liste de gens dont l'état relativement meilleur est susceptible d'amélioration s'ils reçoivent un mois de repos et une nourriture supplémentaire. Cette dernière liste s'appelle « Futterungs-liste » (liste de suralimentation). Bien entendu, le jour venu, la destination est toujours identique : la chambre à gaz. Parfois, pour les besoins de propagande, le départ de tel ou tel individu pour la chambre à gaz est retardé. Tel le cas de cet homme très amaigri, porteur d'un ulcère gastrique perforé, opéré dans toutes les règles de l'art, recevant tous les soins post-opératoires et, ensuite, gazé. Tel le cas de ce détenu vigoureux, blessé lors d'un bombardement américain, et pour lequel tout est mis en œuvre sur l'ordre du médecin S.S., y compris les transfusions, mais qui est gazé ultérieurement.
Les détenus sélectionnés restent d'abord au camp, ne partent plus au travail. Le départ pour la chambre à gaz n'a lieu que quelques jours après. Un matin, sur la place d'appel, tous les sélectionnés du camp sont groupés, encadrés d'infirmiers et amenés dans la cour de l'infirmerie. De là, ils sont chargés dans les camions des S.S.
Les malades de l'infirmerie sont groupés dans les salles de consultation. C'est un spectacle tragique que de voir là des cachectiques, mais parfois aussi des camarades simplement amaigris parfaitement curables. Ils savent parfaitement leur destin. Ils appellent le médecin qu'ils connaissent, le supplient parfois de faire encore une tentative pour les sortir du convoi ou lui confient leurs dernières volontés. A peine vêtus, et grelottant en hiver, ils sont chargés dans les camions par les infirmiers et les médecins qui souvent doivent les porter.
Une ou 2 heures plus tard, les camions reviennent avec les frusques de ces malheureux, et, dans les poches de celles-ci, la croûte de pain, la cuiller à manche aiguisé, le mégot, le bout de ficelle, bref le trésor que le déporté n'abandonne jamais. Le drame est consommé.