Claire, jeune femme douce et timide, connue et aimée de ses camarades parce qu’elle savait des vers, était je crois agrégée de lettres. Ma mère l'aimait et quelquefois me parlait d'elle. De ce que j'ai su concernant sa mort j'ai rendu compte en mars 1947 aux camarades qui l'ont connue :
« Vous souvenez-vous de Claire ? Elle a d’abord été cruellement mordue par un chien. Qui a lancé ce chien sur elle ? Nous ne savons pas, mais c’est le premier assassin de Claire. Ensuite elle est allée au Revier, où on a refusé de l’admettre. Nous ne savons pas, probablement Marschall, infirmière en chef. C’est le second assassin. Ses morsures ne se sont pas cicatrisées, et à cause d’elles, elle a été envoyée au Jugendlager. Qui l’a envoyée au Jugendlager ? Nous ne le savons pas. Probablement Pflaum ou Winkelmann. C’est le troisième assassin. Lorsqu’elle a été dans les rangs de la fatale colonne, qui l’a empêchée de fuir ? Une Aufseherin ? Une Lagerpolizei ? Peut-être les deux. Peut-être von Skene, peut-être Boesel. Quatrième assassinat. Au Jugendlager elle a refusé d’avaler le poison que lui a donné Salveguart et avec l’aide de Rapp et de Köler, Salveguart l’a assommée à coups de bâtons et enfin l’a tuée.
Elle avait été arrêtée à Lyon, à l'époque de Barbie. C'est une femme entre 123 000, une seule agonie. Et, pour une seule femme, cinq bandes d'assassins. Et pour chacune des autres victimes, les mêmes assassins ou d'autres semblables. Car chaque femme morte a été tuée et retuée. Chacune d'entre nous était engagée dans uen filière où, à chaque tournant, un assassin était posté.