Peenemünde, zone interdite, base d'expérimentation des avions V1 et fusées V2

Le 15 octobre 1944, on nous remet une paire de chaussures à semelle de bois, une chemise et un manteau. Nous partons pour la base expérimentale de Peenemünde située au nord de l'Allemagne.

Peenemünde est une zone interdite : c'est la base d'expérimentation des avions V1, des fusées V2 et des missiles anti-aériens. Le général Dornberger est le grand maître de l'île. Avec lui, ses principaux collaborateurs : Wernher von Braun, le colonel Zanssen, le docteur Thiel. Le général Dornberger, dans son livre "l'arme secrète de Peenemünde" (Arthaud éditeur), raconte son entrevue avec Hitler le 7 Juillet 1943. Peenemünde est inscrite à la tête des priorités du programme d'armement. C'est la raison pour laquelle nous allons compléter les effectifs déjà sur place (environ mille Russes et Polonais). C'est ainsi que 200 déportés de la région Lilloise et des mines seront les premiers Français à assister à des essais de V2, précurseurs de la recherche spatiale et des fusées Apollo. Je deviens le matricule 11222.

Quelques jours après notre arrivée, nous sommes étonnés de ne pas partir au travail. Que se passe-t-il ? Nous le saurons bientôt. Des camarades russes se sont évadés et ont été repris. Dans la matinée, nous défilons devant leurs corps défigurés. Ensuite, sur nos vêtements, on badigeonne des croix à grands coups de pinceau. Déjà mal habillés, dans des vêtements trop grands ou trop étroits, nous apparaissons comme de misérables bêtes de somme.

Nouveaux venus, nous héritons des plus mauvais Kommandos : terrassement, pistes d'atterrissage au terrain de la Luftwaffe, déchargement de péniches au port de Karlshagen, pose de voies ferrées. Les travaux sont très pénibles : transport de sable, de gravier et de sacs de ciment. Si notre wagonnet n’est pas plein quand arrive le tracteur, on a droit aux coups et privation de soupe.

En décembre, ils cherchent un mécanicien tourneur (Dreher). Comme j’ai fait les Arts et Métiers, j’ai la chance d’être retenu dans un Kommando de mécanique. Ce travail, moins pénible, m'a sans doute sauvé la vie. Je travaille dans un petit atelier du camp d'aviation avec quatre civils qui, à une exception près, ne sont pas antipathiques. Je ne les crois pas nazis. Cependant, lors de l'offensive allemande des Ardennes, les ouvriers sont exaltés par les premiers succès de leur armée et me le font sentir. Ayant connu, avant notre départ, la force mécanique des alliés, je ne cède pas au découragement.

Les couteaux sont interdits. Grâce aux facilités que m'accorde mon travail, j'en fournis à mes camarades. Je casse en deux une lame de scie et je l'affûte. Un jour, j'en ai quelques uns dans ma musette ainsi qu'une râpe que je confectionne dans une boîte de conserve. A l'arrivée au camp, je suis fouillé et un S.S., ouvrant la musette, en sort la râpe; « Was is das ? ». Je lui réponds : « Für Kartoffel » et je lui fais le geste de râper. Le SS me confisque la râpe en échange d'un coup de poing. Ouf ! Je m'en tire à bon compte.

Jules MONTAIGNE, in Souvenons nous, Oranienburg Sachsenhausen, Bulletin de l'Amicale n° 212, pp13-14