A la fin de novembre [1942], le quatrième mois de mon séjour incroyable dans le camp de la mort de Belzec était sur le point de se terminer. Le voyou Irrman me dit un matin que le camp avait besoin de tôle, de beaucoup de tôle. J'étais alors enflé et blessé et le pus sortait de mes blessures. L'homme de la Gestapo Schmidt avait abîmé les deux côtés de mon visage avec un bâton. Irrman m'informa avec un sourire venimeux que j'irais sous escorte à Lwow chercher la tôle – « Sollst nicht durchgehen »  (N'en profite pas pour t'enfuir).

J'y allai, chargé dans un camion avec quatre hommes de la Gestapo et une sentinelle. À Lwow, après un jour entier à charger la tôle, je fus laissé seul dans le camion avec un voyou qui me gardait. Les autres partirent pour s'amuser un peu. Je restai assis là pendant quelques heures sans penser ni bouger. Alors, je remarquai par hasard que mon garde s'était assoupi et ronflait. Par réflexe, sans réfléchir un instant, je me suis esquivé du camion ; le voyou était toujours endormi. J'étais sur le trottoir ; pendant un long moment, je feignis de m'occuper de quelque chose près de la tôle, puis je m'éloignai lentement. La rue Legionow était très animée. Je baissai ma casquette. La rue était sombre et personne ne me vit. Je me souvenais de l'endroit où vivait ma propriétaire, une femme polonaise, et m'y rendis. Elle me cacha. Je passai vingt mois à me remettre des blessures sur tout mon corps. Pas seulement les blessures. Les images de l'horreur que j'avais vécue me hantaient. Éveillé et endormi, j'entendais le gémissement des victimes torturées. Et les cris des enfants. Et le grondement du moteur. Je ne pouvais pas arracher de ma mémoire les visages criminels de chaque homme de la Gestapo.

J’endurai cela jusqu'au moment de la libération.