Le camp entier était constamment sous la garde de cordons d'askars armés et de plusieurs douzaines de 55. Mais les actifs étaient peu mbreux. Certains d'entre eux se distinguaient, à chaque étape, par leur cruauté particulière. Juste des bêtes, sauf que certains assassinaient et frappaient de sang-froid, et d'autres aimaient commettre des meurtres ; ils avaient des sourires sur leurs visages et je pouvais voir combien ils étaient heureux à la vue des gens nus et frappés à coups de baïonnettes, chassés dans les chambres.
Ils aimaient regarder les ombres désespérées, abattues, de gens pour plupart jeunes. Nous savions que le commandant en chef du camp vivait dans la plus jolie maison à côté de la gare de Belzec. C'était un Obersturmführer dont je ne peux me rappeler le nom, quoique je continue à essayer de le reconstituer dans ma mémoire. C'était un nom court. Il apparaissait rarement dans le camp ; il se montrait seulement en rapport avec quelques événements. C'était un grand voyou, fortement bâti, âgé de plus de 40 ans, avec un visage d'apparence vulgaire, - c’est sans doute à cela que ressemble un bandit congénital. C'était un fieffé salaud.
Une fois, la machine de mise à mort est tombée en panne. Alerté, il est venu à cheval, a ordonné que la machine soit réparée, et n'a pas laissé sortir les gens hors des chambres sans air - les laissant étouffer et agoniser quelques heures de plus. Il s'est accroupi, hors de lui, criant et tremblant de partout. Quoiqu'il se montrât rarement, il était la terreur des SS. Il vivait seul avec un askar « aide de camp » qui le servait. Chaque jour, l'askar lui apportait des rapports. Le commandant en chef et beaucoup d'hommes de la Gestapo n'avaient aucun contact régulier avec le camp. Ils avaient leur propre cafétéria et un cuisinier venu d’Allemagne, qui préparait les repas pour tous les Allemands. Personne de leurs familles n'est jamais venu et aucun d'entre eux n'a vécu avec une femme. Ils élevaient des troupeaux entiers d'oies et de canards. Les gens disaient qu'au printemps, on leur envoyait des paniers pleins de cerises. Des caisses de vodka et de vin arrivaient quotidiennement. […]
Chaque dimanche soir, ils appelaient l'orchestre du camp et faisaient une beuverie. Seule la Gestapo se réunissait, ils se gavaient et buvaient. Ils jetaient les restes aux musiciens. Quand le commandant apparaissait dans le camp pendant quelques minutes, je voyais comment la Gestapo et les askars tremblaient de crainte.
En dehors de lui, des hommes de la Gestapo - quatre autres bandits - dirigeaient certaines choses ; ils surveillaient et régentaient tout l'abattoir. Il est difficile d'imaginer de pires voyous. L'un d'eux était Fritz Irrman, un homme d'environ 30 ans, un Stabscharführer, l'intendant du camp et un spécialiste de l'exécution des enfants et des vieillards. Il commettait chaque cruauté avec un calme de pierre, il se comportait de façon impénétrable et silencieuse ; chaque jour, il disait aux condamnés qu'ils allaient aux bains et qu'ils iraient ensuite travailler. Un criminel scrupuleux.
L'Oberscharführer Faix Reinhold pratiquait la cruauté d'une façon différente. On disait qu'il venait de Gablonz-sur-la-Neisse, et qu'il était marié et père de deux enfants. Il parlait comme parlent les gens intelligents. Il parlait vite. Si quelqu'un ne le comprenait pas immédiatement, il le frappait et lui criait dessus comme un fou. […]
Je ne sais qui était le plus diabolique et cruel : Faix ou cet assassin gras, courtaud, aux cheveux bruns nommé Schwarz" (qui venait des profondeurs du Reich). Il vérifiait que les askars étaient assez bestiaux avec nous et qu'ils nous torturaient suffisamment. Il nous surveillait tandis que nous creusions des fosses, ne nous laissant jamais un moment pour reprendre notre souffle. En criant, en fouettant, avec une pression sans pitié, il nous poursuivait des fosses jusqu'aux chambres, où les piles de cadavres attendaient leur voyage vers les tombes profondes. Il nous rassemblait là et revenait en courant aux fosses. Sur le bord même des tombes, [les gens] attendaient et regardaient tristement au fond, avec un regard fixe, dément - les enfants, les vieillards, les malades. Ils attendaient la mort. On leur donnait à voir à volonté les cadavres et le sang, et à respirer l'odeur de décomposition, jusqu'à ce que le sanguinaire Irrman se débarrasse d'eux à coups de feu. Schwarz continuait à frapper tout le monde, tout le temps, Il était interdit de se protéger le visage des coups – « Hände ab » ! (Bas les pattes) hurlait-il, et frappait avec plaisir.
Le jeune Volksdeutsch Heni Schmidt prenait encore plus de plaisir à sa mission bestiale. Il était probablement Lett [Letton] - il parlait étrangement allemand, prononçant « t » au lieu de « s » (« vat » au lieu de « was »). Aux askars, il parlait en russe. Il répugnait à passer un seul jour loin du camp. Agile, rapide sur ses pieds, mince, avec le visage d'une canaille, toujours ivre, il courait autour du camp de eures du matin jusqu'au soir, infligeant des souffrances, regardant d’un air méditatif la douleur des victimes et se délectant de ce spectacle. « C'est le pire des voyous », chuchotaient les prisonniers qui immédiatement reprenaient: « Ils sont tous pires. » Il était toujours le premier là où les pires tortures étaient commises. Il était toujours là pour diriger les victimes malheureuses vers les chambres, il écoutait attentivement les cris des femmes, perçants, déchirants, qui s'échappaient des chambres. Il était « l'âme » du camp, le plus dégénéré, monstrueux, sanguinaire. Il regardait avec plaisir les visages brûlés des travailleurs qui retournaient au baraquement la nuit, épuisés jusqu'à la dernière limite. Il ne pouvait se retenir de frapper la tête de chacun avec force. Quand l'un d'entre nous réussissait à esquiver, il le prenait et le torturait. Ces hommes de la Gestapo, et d'autres qui se faisaient moins remarquer, étaient des monstres d'un certain genre. Pas un d'entre eux n'était humain, fût-ce un seul moment.
De 7 heures du matin à la tombée du jour, ils torturaient des milliers de gens de façon diverse. A la tombée de la nuit, ils regagnaient leurs maisons près de la gare. Les askars montaient la garde de nuit auprès des mitrailleuses. Le matin, la Gestapo prenait livraison des transports de la mort selon la cérémonie habituelle.
Le plus grand festival de voyous fut la visite de Himmler. C'était à la mi-octobre. Nous pouvions voir, depuis tôt le matin, que les criminels de la Gestapo étaient mystérieusement agités. Ce jour-là, toute la routine d'assassinat de milliers de gens fut accélérée. Tout fut exécuté dans la précipitation. Irrman annonça : « Es kommt eine höhere Person, muss Ordnung sein » (« Une personne importante vient, tout doit être en ordre »). Ils ne dirent pas de qui il s'agissait, mais chacun le savait parce que les askars en parlaient entre eux à voix basse. […]
Je ne sais pas comment décrire l'ambiance dans laquelle nous vivions, nous les prisonniers condamnés, ou ce que nous avons senti à l'écoute des plaintes horribles de ces gens que l'on asphyxiait chaque jour et des pleurs des enfants. Trois fois par jour, nous vîmes des milliers de gens sur le point de perdre leurs esprits. Et nous étions proches de la folie. Nous passions d'un jour à l'autre sans savoir comment. Nous n'avions pas d'illusions. Chaque jour, nous mourions un peu avec les convois entiers de gens qui, pendant un court moment, éprouvaient le supplice de l'illusion. Apathiques et résignés, nous ne sentions même pas la faim ou le froid. Chacun attendait son tour, savait qu'il devait aussi mourir et souffrir de façon inhumaine. Seulement, quand j'entendais comment les enfants criaient « Maman! Mais j'ai été sage! Il fait noir ! Il fait noir l », nos cœurs se déchiraient. Et puis, à nouveau, nous ne ressentions plus rien.