Parmi les nombreux crimes commis par le régime hitlérien, les expériences effectuées sur les détenus des camps de concentration furent particulièrement odieux tant par leur cynisme que par leur cruauté. Il ne s'agissait pas en effet d'actes de sauvagerie individuelle dus à l'initiative de quelques médecins sadiques mais d'une vaste organisation d'État officialisée par des lois et des décrets.
Le 28 avril 1944 je fus sorti du fond du tunnel de Dora où j'avais perdu en 4 mois près de la moitié de mon poids normal, pour travailler au Block 50 de Buchenwald. Ce block était dirigé par le médecin SS. Sturmbannführer Ernst Ding. Son effectif se composait de 66 détenus de toutes nationalités, sélectionnés principalement pour leurs connaissances médicales ou scientifiques. Il avait comme attribution la fabrication et l'amélioration des vaccins utilisés par la Wehrmacht pour lutter contre le typhus exanthématique qui décimait les armées du front allemand de l'Est.
En dehors du Bl. 50, le Dr Ding dirigeait également le block 46 de Buchenwald, connu par les détenus sous le nom de « Block des cobayes ». Le Bl. 46 fut aménagé pour recevoir 400 détenus en permanence ; il était complètement isolé, entouré de fils de fer barbelés, ses portes et fenêtres étaient closes de jour comme de nuit. Les détenus y étaient enfermés une fois pour toute, ils ne pouvaient plus en sortir et n'étaient soumis à aucun appel. A l'intérieur il régnait un silence mortel, les conversations étaient interdites par le kapo Dietszch qui avait la phobie du bruit, le moindre chuchotement était sanctionné par des châtiments corporels exemplaires.
A leur entrée au Bl. 46, les détenus perdaient leurs numéros de matricule pour en recevoir un nouveau correspondant à celui qui sera inscrit sur les registres d'expérience (« Protokol ») après leur mort ! D'hommes ils devenaient « cobayes » et après leur assassinat, seul le numéro de matricule reçu au Bl. 46 sera transmis au fichier du camp et leur véritable identité aura disparu.
Si les « cobayes » survivaient aux expériences, ils étaient exécutés par une piqûre intracardiaque d'une solution concentrée de phénol administrée par le Dr Ding, le kapo Dietszch ou un de leurs adjoints, le secret était ainsi bien gardé, tout au moins en apparence.
Parmi les principales expériences qui furent poursuivies au BI. 46, nous citerons :
‑ les expériences sur le typhus exanthématique,
‑ les expériences sur la médication des brûlures au phosphore,
‑ les expériences sur les hormones sexuelles administrées aux « homosexuels »,
‑ les expériences sur les œdèmes de carence,
‑ des interventions chirurgicales d'ordre médico-légal.
Tout un personnel silencieux exécutait ces expériences avec discipline. Au Bl. 46 il était presque exclusivement composé de détenus allemands.