Toutes les femmes étaient rasées avant d'être assassinées. Elles étaient rassemblées dans le baraquement, le reste des femmes attendait son tour à l'extérieur, nues et pieds nus, même en hiver et dans la neige. Les larmes et le désespoir les saisissaient. C'est alors que les cris et les lamentations commençaient. Les mères serraient les enfants contre elles, elles perdaient leurs esprits. Mon cœur se brisait à chaque fois, je ne pouvais pas supporter cette vue. Le groupe de femmes rasées fut conduit plus loin et d'autres marchèrent sur les cheveux de différentes couleurs qui couvraient tout le plancher du baraquement comme un tapis épais de peluches. Une fois toutes les femmes du transport rasées, quatre ouvriers utilisaient des balais de tilleul pour balayer et rassembler tous les cheveux dans un grand tas multicolore, aussi haut que la moitié de pièce. Ils chargeaient à la main les cheveux dans des sacs de jute et les apportaient à l'entrepôt.
L'entrepôt pour les cheveux, les sous-vêtements et les vêtements des victimes des chambres à gaz se trouvait à l'écart, dans un petit baraquement qui faisait peut-être sept mètres sur huit. Les affaires et les cheveux étaient rassemblés là pendant dix jours et après dix jours, les sacs de cheveux et les sacs de vêtements étaient entassés séparément.
Alors un train de marchandises arrivait et emportait ce butin. Les gens qui travaillaient dans le bureau disaient que les cheveux étaient expédiés à Budapest. C'est un Juif des Sudètes en particulier, un avocat nommé Schreiber, qui travaillait dans le bureau, qui a fourni ces infor- mations. C'était un homme comme il faut. lrrman avait promis de l'amener avec lui quand il partirait en vacances. Une fois, Irrman prit quelques jours de congé. J'ai entendu Schreiber lui demander, « Nehmen sie mich mit ? » Mais Irrman a répondu, « Noch nicht » (Vous m'emmenez ? » - « Non pas encore »). Il le trompait de cette façon, et Schreiber est sûrement mort comme tous les autres. Il m'a lui-même dit qu'un wagon de marchandises entièrement empli de sacs de cheveux était envoyé tous les deux ou trois jours à Budapest. En plus des cheveux, les Allemands expédiaient des paniers entiers de dents d’or.
Sur le chemin menant des chambres à gaz aux fosses, et ainsi sur plusieurs centaines de mètres, se tenaient plusieurs dentistes avec des tenailles. Ils arrêtaient chaque ouvrier qui traînait des cadavres, ouvraient la bouche du cadavre, l'examinaient et en retiraient l'or, et ensuite le jetaient dans le panier. Il y avait huit dentistes. La plupart d'entre eux étaient jeunes, choisis dans les convois pour réaliser ce travail. L'occasion me fut donnée de connaître mieux l'un d'entre eux. Son nom était Zucker et il venait de Rzeszow. Les dentistes avaient leur propre petit baraquement, avec le docteur et le pharmacien. Au coucher du soleil, ils portaient les paniers remplis de dents en or à leur baraquement, où ils séparaient l'or des dents et le fondaient en barres. Un officier de la Gestapo, Schmidt, les surveillait et les frappait quand le travail n'allait pas assez vite. Chaque convoi devait être traité en deux heures. Les dents en or étaient fondues en des barres d'un centimètre d'épaisseur, un demi-centimètre de large et vingt centimètres de long.
On emportait chaque jour de l'entrepôt des objets précieux, de l'argent et des dollars. Les SS les collectaient eux-mêmes et les mettaient dans des valises que des ouvriers portaient à Belzec, au poste de commandement. Un officier de la Gestapo précédait les ouvriers juifs qui portaient les valises. Il n'y avait pas loin, seulement vingt minutes de marche, jusqu'à la gare de Belzec. Le camp de Belzec, ou plutôt la chambre de torture de Belzec, dépendait de ce poste de commandement. Les Juifs qui travaillaient dans l'administration disaient que la totalité de la cargaison d'or, d'objets de valeur et d'argent était envoyée à Lublin, où se trouvait le principal quartier général, avec autorité sur le poste de commandement de Belzec. Des ouvriers ramassaient les vêtements déchirés des malheureuses victimes juives et les transportaient à l’entrepôt. Il y avait là dix ouvriers, qui devaient découdre chaque vêtement très soigneusement, sous la surveillance et les fouets des SS, qui partageaient entre eux l'argent ainsi trouvé. Des SS spéciaux, toujours les mêmes, étaient assignés à cette surveillance. Les travailleurs juifs qui triaient et décousaient les vêtements ne pouvaient rien détourner, et ils n’en avaient pas envie. À quoi bon de l'argent ou des objets de valeur pour nous ? Nous ne pouvions rien acheter et nous n'avions aucun espoir de rester en vie. Aucun de nous ne croyait aux miracles. Chaque ouvrier était fouillé très soigneusement, mais nous marchions souvent sur des dollars éparpillés qui n'avaient pas été vus. Nous ne nous baissions même pas pour les ramasser. Cela ne servait à rien et ne nous faisait aucun bien. Une fois, un cordonnier a délibérément et ouvertement mis cinq dollars dans sa poche. Lui et son fils ont été tous les deux abattus. Il est allé à sa mort heureux - il voulait juste en finir. La mort était certaine, et quel était l'intérêt de continuer à souffrir ? Les dollars à Belzec nous ont aidés - à mourir plus facilement...