[…] La machine faisait un mètre et demi sur un mètre; c'était un moteur (et une roue), qui vrombissait par longs intervalles. Il fonctionnait assez vite, trop vite pour distinguer les rayons de la roue. La machine fonctionnait pendant vingt minutes, montre en main. Ils l'arrêtaient après vingt minutes. Les portes des chambres menant à la rampe étaient alors ouvertes de l'extérieur et les cadavres étaient jetés sur le sol, faisant un tas énorme de plusieurs mètres de haut. Les askars ne prenaient aucune précaution à l'ouverture des portes, nous ne sentions pas d'odeur, je ne vis jamais aucun ballon de gaz ni aucun produit qui se serait écoulé. Tout ce que je vis, c'étaient des bidons d'essence. Quatre-vingts à cent litres d'essence étaient utilisés chaque jour. Deux askars faisaient fonctionner la machine. Mais une fois, quand la machine se détraqua, ils me firent venir, et par la suite, ils m'appelèrent der Ofenkünstler (le spécialiste du four). J'y jetai un coup d'œil et vis des tuyaux de verre reliés à d'autres tuyaux menant à chaque chambre. Nous pensions que la machine soit produisait une haute pression, soit qu'elle créait un vide, soit que l'essence produisait du monoxyde de carbone qui tuait les gens. L'appel au secours, les cris, le gémissement désespéré des gens enfermés et en train d'étouffer dans les chambres durait dix à quinze minutes, horriblement forts ; puis les râles devenaient plus calmes et à la fin, tout était tranquille. J'entendais des hurlements désespérés et des cris en différentes langues, parce qu'il n'y avait pas seulement des Juifs polonais, il y avait aussi des convois de Juifs étrangers. Parmi ceux-ci, les plus nombreux étaient les Juifs français ; il y avait des Hollandais, des Grecs, même des Norvégiens. Je ne me souviens d'aucun convoi de Juifs allemands. Il y avait, cependant, des Juifs tchèques. Ils arrivèrent dans des wagons de marchandises, comme ceux des transports pleins de femmes et d'enfants. Les transports des Juifs étrangers étaient en grande partie composés d'hommes et il y avait peu d'enfants. Les parents avaient évidemment pu les laisser aux soins de leurs concitoyens et leur épargner un destin cruel. Les Juifs étrangers parvenaient à Belzec totalement inconscients, certains que du travail les attendait. Ils étaient habillés comme des gens raffinés et équipés soigneusement pour le voyage. Le comportement des voyous allemands envers ces gens était le même qu'envers les Juifs d'autres convois et la méthode de meurtre était la même. Ils mouraient tout aussi cruellement et désespérément. […]
Quand les askars ouvraient les portes scellées après vingt minutes d'asphyxie, les cadavres étaient en position debout, les visages comme endormis, inchangés, non bleuâtres, du sang ici et là des coups faits par les baïonnettes des askars, les bouches légèrement ouvertes, les mains serrées et souvent appuyées contre le torse. Lorsqu'on ouvrait les portes en grand, les plus proches dégringolaient comme des mannequins.