J’apprends que mon frère travaille au Kommando qui a été bombardé

Jeune apprenti chaudronnier aux mines, fils de mineur, né dans les corons, j’ai subi l’arrivée des Allemands avec des morts autour de moi à deux reprises. Je n’avais pas quinze ans.

« Quelqu’un » a parlé sous la torture et provoqué notre arrestation, le 16 juin 1944, par la Gestapo de Douai. Incarcéré à la prison de Cuincy-les Douai, cellule 13 ! Seul durant 23 jours, isolement total, rencontres très « sanglantes » avec la Gestapo dans leur antre près du canal. Toutes les larmes de mon corps n’ont pas suffi à calmer ma souffrance. Mais je n’ai pas livré les amis.

Le 1er septembre 1944 nous sommes embarqués à 871 internés dans ce qui sera le dernier convoi à quitter la France. Près d’une centaine dans mon wagon encore tapissé de ciment. Le transport sera démentiel pendant 3 jours. Arrêt à Cologne, puis arrivée à Oranienburg le 4 septembre 1944.

La quarantaine aux blocks 37 et 38 sera très dure et va nous « démolir ». Transféré au block 58, de triste mémoire, on s’attend au pire, nous les derniers terroristes. Mon frère n’est plus là ; puis, sans doute un changement nous met au travail dans divers kommandos. Mon sort se joue, la chance m’envoie avec 3 autres déportés au block des Schumacherei (cordonniers) où je vais passer un hiver assez calme mais affamé. J’attrape une pleurésie lors d’un des appels journaliers peut être en mars 1945, et me prépare à la sélection ; c’est le docteur Couderc qui m’examine et me remet à un médecin Russe, Nicolas Chelakov qui me fait une ponction dans le dos avec la pompe à lavement et une grosse aiguille ; je suis soulagé et devrais regagner mon travail. Un infirmier veut m’avoir dans son Revier. Je vais à nouveau couler des jours heureux à préparer les cadavres pour le « Krema ». Je vois des exécutions à la piqure de benzine pour les mal-en-point.

Les bombardements anglo-américains d’avril sur la zone industrielle qui entoure le camp font des ravages ; le kommando Klinker qui fabrique des grenades est écrasé et j’apprends que mon frère y travaille. On ramène de nombreux corps pour y être brûlés au grand camp. Je cherche et récupère un pull bleu coupé en deux cela me servira ! J’apprends que mon frère a survécu et est rentré au camp. Un intermédiaire nous fait se rencontrer ; j’ai peine à le reconnaître, sale, décharné, en loque. Je le fais rentrer près du Revier, en passant devant la salle d’expérimentations qui a été vidée ; c’est un sous-sol encore présent aujourd’hui qui a vu beaucoup de « choses ». Jean se régale de la soupe d’un malade qui est mort.

Marcel HOUDART, in Souvenons nous, Oranienburg Sachsenhausen, Bulletin de l'Amicale n° 217, p.6