« Vous voici désormais les nouveaux Scheissekommando de la baraque ! »

Le chef de Block réclama le silence. Avec cérémonie, il demanda aux diplômés de faire un pas en avant. Pensant que j’allais être désigné comme médecin de ma baraque, j’avançai en compagnie de trois autres prisonniers aussi naïfs que moi. Le chef de Block nous annonça alors joyeusement que le travail qu’il nous réservait exigeait un diplôme universitaire ou au moins le baccalauréat. Il nous félicita : « Vous voici désormais les nouveaux Scheissekommando de la baraque ! » L’unité de la merde ! Je m’étais porté volontaire pour les corvées de chiottes… J’avais pu me familiariser avec ce travail à Dachau, mais le nettoyage de ces latrines devait se révéler infiniment plus monotone et surtout pénible. La dysenterie faisait rage, et le manque de réservoirs septiques nous obligeait à vider constamment la fosse avant qu’elle ne déborde. Toute la journée, nous remplissions des fûts d’excréments liquides ; ces fûts étaient ensuite chargés sur une charrette et traînés jusqu’à un endroit situé en dehors du camp où des paysans venaient les chercher pour s’en servir d’engrais. Impossible de ne pas être éclaboussés lorsque nous chargions les fûts sur la charrette. Et comme nous n’avions aucun moyen de nous laver les mains ou de laver nos vêtements, l’odeur ne tarda pas à nous pénétrer jusqu’aux os. De retour à la baraque, nous sentions tous si mauvais que le chef de Block nous ordonna de dormir sous nos lits. Si nous tardions trop à disparaître, ses coups de pied nous y aidaient. 

Albert HAAS, Médecin en enfer, Paris, Presses de la Renaissance, p. 249-250