Depuis huit jours, il y a des morts partout.
Les uns, les privilégiés, meurent à l’hôpital, sur un grabat qu’ils partagent avec deux ou trois camarades qui s’étonnent soudain de l’immobilité de leur compagnon. On les entasse dans les salles de pansement des Block 1 et 2. Les porteurs viennent les chercher deux fois par jour sur un petit chariot, par sept ou huit à la fois. Il y a ceux de la baraque des contagieux, que l’on emmène au fur et à mesure ; le four crématoire fait vis-à-vis.
Il y a ceux des Block de convalescence, des Schonungsblock, que l’on tasse dans des resserres à claire-voie, en dehors des baraques, car ils sont trop, quarante ou cinquante par jour.
Il y a ceux du Block 23 que des espèces de forts des Halles apportent sur l’épaule, nus, pliés en deux, jambes et bras ballants, comme des pièces de boucherie. Il y a ceux, tous ceux qui meurent dans les blocs du camp, que l’on amène à toute heure du jour […].
Il y a ceux, tous ceux que l’on apporte, morts, du travail et qui bénéficient, enfin, d’un transport par véhicule. Ceux-là, on les aligne dehors, pour leur inscrire leur matricule, que la pluie, qui tombe sans arrêt en ce mois d’avril, délave aussitôt. Et cela forme d’étranges traînées violettes sur les côtes saillantes…
Tout le jour, il en est ainsi ; et demain, ce sera pareil. Il n’y a que le chiffre des morts quotidiens qui monte, terrible, progressif. Nous en étions à deux cents par jour. Il va atteindre trois cents, et même un jour trois cent soixante-quinze. Le crématoire ne peut plus y suffire ; on a beau pousser les feux ; et ce fut, une nuit, d’étranges funérailles, à la lueur des torches, quand on mit dans la chaux deux mille cadavres d’un coup.
Le camp tout entier n’est plus qu’une machine, une gigantesque machine à mourir de faim.