Un des plus jeunes prisonniers libérés au camp est né le 6 décembre 1939. Il s’appelle Janek Szlajtsztajn. Ce dangereux terroriste a été arrêté en juin 1942 à l’âge de trois ans et demi et interné dans un camp de travail avec son père. Grâce à son caractère facile et sa santé robuste il a pu survivre malgré les souffrances et les privations les plus inimaginables. L’important pour lui c’est d’échapper aux sélections périodiques organisées par les SS pour éliminer les malades, les éléments non productifs.
Après avoir transité dans plusieurs camps, il est arrivé le 20 janvier 1945 dans un transport venant de Czenstechowa. Il a reçu le matricule 116543 et a été affecté au block 62 dans le petit camp. Grâce à la vigilance du Comité de résistance interne, il a pu rester dans le même block avec son père jusqu’à la libération.
Ce n’était pas le seul enfant de cet âge dans le camp. En effet, le premier qui est arrivé à Buchenwald au mois d’août 1944 venait aussi de Pologne. Il a été introduit au camp par son père dans un sac. Né le 28 janvier 1941, il s’appelle Juschu Zweig.
De ce jour, le Comité interne clandestin a conçu un programme de sauvetage, pour ces enfants voués à l’extermination. Dorénavant tous les enfants de moins de seize ans arrivant par les transports successifs sont isolés et répartis par petits groupes dans différents blocks sous la vigilance permanente du comité.
Le danger qui guettait ces jeunes était de différentes natures. Entre autres la lutte contre la pédophilie. Le milieu concentrationnaire avait engendré une tendance très très minoritaire mais effective pour l’homosexualité. Chaque chef de Block, à qui les enfants étaient confiés, veillait personnellement à leur protection.
Le camp était un vivier d’esclaves où on puisait une main d’oeuvre quasiment gratuite pour l’industrie de guerre. Et ces petits bras affaiblis et inutiles, nourris à perte, constituaient un défi aux yeux des seigneurs du Reich. Il fallait donc soustraire les enfants à leur vue, en employant des ruses, en prenant des risques pour les personnes impliquées. Parfois des interventions très intenses sont nécessaires pour empêcher un enfant de partir pour Auschwitz où une mort certaine l’attend.
Par suite de l’avance de l’Armée Rouge, de nombreux camps de concentration et leurs Kommandos à l’est de Berlin sont évacués vers le centre de l’Allemagne. Pendant l’hiver 1944/1945, de nombreux convois arrivent à Buchenwald. Tous ces prisonniers avant d’être embarqués sur les trains ont accompli des marches forcées à pied, dans la neige et le froid, parmi eux de nombreux enfants.
Le camp est surchargé en quelques mois, la population a doublé en nombre. Pour faire face, devant une telle situation, le block 66 dans le petit camp fut réservé uniquement pour les moins de seize ans. Les très jeunes sont toujours dissimulés à travers le camps dans les blocks « Politique ». [...]
Il faut rappeler que plus de 10 000 enfants âgés de moins de seize ans, déportés de France et envoyés à Auschwitz ont tous été gazés dès leur arrivée. Une demi-douzaine des plus âgés ayant passé la « sélection » ont pu intégrer le camp. [...]
Après la libération, nous étions 430 à quitter Buchenwald vers la France, chacun de nous emportant sa propre histoire vécue pendant ces années noires d’enfer. Nous n’avions en commun que les mauvais traitements, la faim et le froid. Les souffrances nous ont rapprochés. Nous avons perdu nos parents. Déracinés, nous avons survécu mais sommes restés seuls au monde. Nous sommes devenus adultes trop tôt. Nous ne savions plus jouer, ni rire. On nous a volé notre enfance, notre adolescence… Nous étions aigris, méfiants envers les adultes et pleins de haine envers les Allemands.
En quelques mois, il a fallu tout réapprendre, redevenir enfant, faire semblant de sourire et surtout devenir des hommes « normaux ». C’était difficile, éprouvant, mais nous croyons que pour la très grande majorité d’entre nous, nous avons réussi, mais nos plaies ne cicatriseront jamais complètement.