En traversant la ville, il nous est arrivé à plusieurs reprises de rencontrer des prisonniers militaires isolés circulant librement dans la rue. Un soir, en voyant venir l’un d’eux vêtu de la tenue kaki et coiffé d’un large béret, Charles s’est écrié, la figure épanouie :
– C’est un Français, je vous dis, c’est un Français. Je le reconnais rien qu’à sa façon de rouler sa cigarette. Regardez-moi ça. Il n’y en a pas un autre avec une touche comme ça.
– Notre colonne est passée tout à côté de lui et d’un même élan du cœur nous lui avons crié :
– Bonjour la France !
Mais le Français a continué son chemin sans paraître comprendre l’amour qui se cachait derrière nos paroles. Pour lui, probablement comme pour tous les gens qui nous croisent, nous étions des forçats.
Et voilà que le lendemain nous avons été chargés avec Charles de poser un câble électrique sur la façade du bâtiment du Kartoffelkeller. Charles était monté sur son échelle. Je lui faisais passer les outils. Un vieux soldat nous tenait sous la surveillance de son vieux Mauser.
Nous regardions à la dérobée passer sur la place des gens qui étaient pour nous d’un autre monde, des enfants, des femmes, des civils, qui allaient et qui venaient dans l’atmosphère tranquille d’une petite ville de province, loin des horreurs des camps et de la guerre. Tout à coup, une jeune femme élégamment vêtue s’arrêta devant notre groupe. Elle était jolie. Elle nous a regardés. Elle a regardé nos barbes hirsutes, nos vêtements rayés. Nous ne lui avons pas fait peur. Elle s’est approchée de notre sentinelle et, après lui avoir parlé, elle a ouvert son sac d’où s’est échappé un petit mouchoir blanc. Elle en a tiré deux petits pains enveloppés dans du papier de soie et elle les lui a remis pour nous.
Puis cette femme nous a souri.