Lorsque nous sommes arrivés, on nous a dit : « Vous n’écrirez jamais » [Jean Laffitte est déporté avec un groupe de NN]. Cette sentence n’a pas été pour nous surprendre, car nous savions très bien à quoi nous en tenir à l’égard de nos ennemis. Mais voilà qu’un jour, dans le Block, on a distribué des cartes à tous les Français, sans exception.
C’est certainement une erreur, avons-nous fait remarquer.
– Pas du tout, nous a-t-on répondu, vous avez droit à vingt-cinq mots, comme tout le monde.
Et nous avons écrit. Avec quel amour ces cartes ont été composées. Que de soucis apportés dans les mots ! Seule une mère ou une femme chérie pourra déceler l’affection qui se dégage de cette pauvre carte.
Le Schreiber a ramassé les cartes. Elles vont partir. Elles doivent être parties. Elles sont arrivées, sans doute, apportant le bonheur, pour tout un jour, dans une famille de France. Les réponses vont venir. Elles viennent, c’est sûr. Il y a près de deux mois que la carte a été donnée.
Un soir, nous rentrons plus fatigués que de coutume. Il a plu, mais, à l’appel, le Schreiber a dit qu’il y a des lettres pour les Français. C’est pour nous une joie énorme. Enfin, nous allons avoir des nouvelles des êtres chers. Les yeux brillent d’impatience, d’appréhension et de bonheur. Qui va avoir sa lettre ?
Il y a en a pour tous. Le Schreiber et le chef de Block, qui ne se retiennent plus de rire, nous remettent à chacun la carte que nous avons écrite il y a six semaines. Les cartes n’ont pas été envoyées. C’était une plaisanterie.
Sur la paillasse voisine, le grand Louis, un ouvrier de Sochaux, tourne entre ses doigts décharnés la carte dans laquelle il avait placé toute son espérance. Je sais qu’il est le père de deux petits garçons âgés de 5 et de 7 ans. Une grosse larme coule le long de sa joue creuse. Cet homme qui, jusqu’ici, a résisté, sans se plaindre, à toutes nos misères, ne survivra pas à cette nouvelle épreuve.