Nous arrivâmes à Birkenau

Je ne me rappelle pas exactement le jour, mais c’était début juin 1944.
Nous arrivâmes à Birkenau. Nous étions déjà en tenue de déporté, donc nous n’avons pas été sélectionnés à notre arrivée. Nous étions considérés comme des déportés « utiles » par le Reich. Tout notre transport fut conduit à une baraque où nous passâmes la nuit. Nous ne nous apercevions encore de rien, nous nous couchâmes les uns sur les autres, heureux de pouvoir dormir.
Le lendemain, nous fûmes amenés dans un bâtiment où nous enlevâmes nos habits, on nous lava à l’eau froide, puis on nous saupoudra le corps avec une poudre (contre les poux, a priori). On nous donna une nouvelle tenue rayée. Nous fûmes emmenés dans une baraque et mis en quarantaine. Cela a duré quelques jours pendant lesquels nous ne faisions rien. Nous étions enfermés avec notre ration, et c’est tout.

Je vais, peut-être, vous paraître bizarre, mais c’est pendant ce séjour en quarantaine que nous découvrîmes la réalité d’un camp d’extermination.
Nous étions à quelques centaines de mètres du crématoire qui fonctionnait jour et nuit, et surtout la nuit. Les flammes sortaient des cheminées, elles nous paraissaient immenses et immondes. Et puis il y avait cette odeur constamment présente de chair brûlée dont je garde encore aujourd’hui un souvenir intact.

Nous étions au cœur de l’enfer. Mais je dois vous avouer que, à ce moment, nous étions soulagés d’être vivants et au chaud, sans bosser, sans recevoir de coups, et surtout, ce qui était « bien » à Auschwitz, c’est que la soupe était servie tous les jours 1

Donc, durant ce séjour en quarantaine, nous recevions de la soupe, un peu de pain régulièrement, ce qui changeait de mon camp précédent où il n’y avait rien à bouffer. Système que je n’ai jamais compris : d’un côté, les Allemands gazaient et brûlaient, tous les jours, des milliers de Juifs, et de l’autre, pour les déportés travailleurs, les autorités du camp se faisaient un point d’honneur de servir, tous les jours, la maigre soupe.

Au bout de quelques jours, nous fûmes séparés en plusieurs groupes et dirigés vers une salle où nos noms, prénoms et lieu de naissance furent relevés.
Puis un numéro nous fut tatoué sur le bras gauche, le mien était le B1982.
Je peux dire que ce numéro a été bien gravé dans ma chair, car, cinquante-cinq ans plus tard, il est toujours bien visible sur mon bras, je ne pourrai jamais l’oublier. Je me suis retrouvé dans le Block 8 « Feld D », avec trois autres copains.

Le lendemain, nous fûmes séparés en plusieurs groupes. Je me suis retrouvé avec mes potes dans le commando Kenixgraven de 200 déportés. Notre groupe devait travailler à l’extérieur. Nous sortîmes du camp au son de la musique car nous découvrîmes qu’à Birkenau il y avait un orchestre, à l’œuvre tous les matins, formé des meilleurs musiciens juifs d’Europe.

Après deux à trois kilomètres de marche, on nous expliqua notre travail. Nous devions faire des tranchées le long des routes pour drainer. En fait, cela ne servait pas à grand-chose, mais ce travail nous occupait.
Avec du recul, je comprends pourquoi on nous faisait faire quelquefois des travaux sans utilité : en fait, Birkenau était une gigantesque fourmilière humaine. Je crois que nous étions plus de 200 000 déportés, représentant un réservoir de main-d’œuvre que le Reich utilisait en fonction de ses besoins. Parfois, des convois partaient en Allemagne pour remplir une usine, d’autres fois, en direction des mines de charbons ou des usines d’armement ou n’importe quoi, et il fallait nous occuper en attendant, car les SS avaient peur de laisser plusieurs dizaines de milliers de personnes sans rien faire dans le même espace. Nous étions en 1944, le vent commençait à tourner pour eux et nous le savions.

Szyja OPATOWSKI, La survie d’un juif de Radom pendant la Shoah, Paris, Le Manuscrit, Collection Mémoires de la Shoah, FMS, 2012, pp.61 et 64