« C’est dans les conditions de vie que vous connaissez toutes que, le 21 mars 1945, ma fille est née au block 1, dans une pièce sordide, sans eau ni électricité. Il faisait sombre quand j’y suis arrivée, une bougie posée sur le sol l’éclairait faiblement. Le matériel dont disposait la sage-femme était des plus rudimentaires […] Trois ou quatre soviétiques accouchaient sur leurs paillasses. La sage-femme était une prisonnière de droit commun. Elle s’appelait Terza. […]
Sur son cahier d’écolier, sorte de carnet de bord sur lequel elle notait chronologiquement les naissances et les décès, elle a mentionné la naissance de Sylvie au matin de ce 21 mars 1945. […] Le bébé recevait alors son numéro (Sylvie devenait le 61662 bis) et son trousseau, c’est-à-dire : une chemise, deux couches, et un petit carré de couverture. Le tout non renouvelable. Je devais alors rejoindre les autres mères au block 5, au Kinderblock.
Ce block avait gardé la disposition habituelle ; une pièce servait de dortoir aux bébés, l’autre de dortoir aux mères, et, luxe suprême, il y avait de l’eau dans la Washraum qui séparait les deux pièces du baraquement. […]
Pas de soins corporels pour la jeune mère : trois jours après l’accouchement, sa vie devait reprendre normalement. Toutefois […] l’appel se faisait à l’intérieur du block.
En principe du moins, les bébés, en mars 1945, n’étaient pas tués systématiquement à leur naissance, mais cependant, dans le milieu de ce mois de mars 1945, plus de deux cents enceintes ou récemment accouchées, et dans ce cas avec leurs bébés, ont été gazées ; en février 1945 (peu de temps avant la tournée d’inspection de la Croix-Rouge dans le camp), ce même block avait été presqu’entièrement vidé de ses occupantes, des Tziganes pour la plupart. »