Madame Matuszenski,
51, rue Étienne-Marcel
Montreuil/Seine
Drancy, le 18 juin 1942
Chers parents,
Je vous envoie ce petit mot pour vous dire ce qui se passe dans le camp. En ce moment, l'on s'attend à un départ, et cette fois-ci, je pars avec Gaston et Sztarkman, dont la mère a dû vous mettre déjà au courant. Surtout, je vous demande de ne pas vous affoler, car cela n'en vaut pas la peine, surtout que nous avons un moral de fer, car j'espère que tout cela finira sous peu. Ce que je te demande, c'est de déposer, le plus tôt possible et sans même perdre un instant, un colis de linge dans lequel je voudrais la couverture, des grosses chaussettes et des mouchoirs, et sans oublier les colis alimentaires qui ne peuvent pas nous être inutiles. Le départ devrait avoir lieu cette semaine, mais si la liste est insuffisante, nous partirons quelques jours en retard. C'est pourquoi je te demande d'aller au plus, sans oublier la montre si elle est réparée.
Hier, j'ai reçu à la fois mon colis de linge et l'alimentaire qui sont toujours les bienvenus. J'ai été très surpris de voir le couteau, car depuis que je l'attendais, je ne comptais plus l'avoir. Je ne sais pas si je pourrais partir avec, car aux 2 derniers départs, tous ont été fouillés et on ne leur a même pas laissé une épingle. Ils ont peur qu'on se suicide, mais on n’est pas aussi fous. Je m'arrange avec certains copains qui, j'espère, arriveront avec succès à me repasser tout un petit paquet qui me serait pris à la fouille. En ce moment, je me prépare et heureusement que j'ai un sac de camping qui me sert énormément, car je partirais avec celui-ci et une petite valise.
Je vois que ce vieux Henri n'a pas pu tenir sa parole, car il m'avait promis d'attendre mon retour pour se mettre la corde au cou, mais je sais qu'il y a bien des fois où l'on ne peut pas faire toujours ce que l'on veut. En tout cas, j'espère que ce n'est pas pour cela qu'il laissera tomber la famille et même sa femme. J'avais demandé s'il elle était une aryenne, car pour les départs, les maris d'aryenne et anciens combattants sont retirés des listes. Je lui dis cela au cas où il se ferait arrêter, chose qui j'espère ne lui arrivera pas. En tout cas, je lui promets de l'inviter à mon mariage et moi je n'ai pas l'habitude de raconter des bobards. Si parfois les copains restant parviennent à savoir notre destination, ils vous le feront savoir, mais ce n'est pas pour ça que si un jour, j'ai l'occasion de vous donner de mes nouvelles, je ne laisserais pas laisser passer l'occasion.
Je voudrais des gros clous pour mettre sous mes grosses chaussures, quand ceux qui y sont déjà seront usés et, si papa a réparé les chaussures noires, mets-les dans le colis de linge. Je le remercie d'avance et je lui promets de lui rendre tous les services possibles. Pour les colis alimentaires, les mettre sans bons si vous ne les avez pas encore reçus. Depuis aujourd'hui, nous avons le port de l’insigne, et pour le 1er jour, Gaston a eu le droit à une engueulade, si je peux ainsi m'exprimer. Ce matin, nous avons eu la visite du grand capitaine qui s'occupe de la question juive et lorsqu'il est dans le camp, on se demande ce qu'il va nous arriver. Il est rentré dans notre bureau et il s'est aperçu que Gaston n'avait pas d'insigne sur son pull-over et lui a demandé comme[nt] cela se fait-il qu'il ne la porte pas, mais heureusement que son veston était accroché au portemanteau et ça [a] tout arrangé. Mais je peux vous dire que je ne crânais pas, car j'avais dans la main la lettre d'Henri et celle que j'avais écrite, que j'ai été obligé de jeter. En tout cas, tout c'est très bien passé. Je ne vois plus grand-chose à vous dire, recevez, chers parents et frère et sœur, les plus tendres baisers de celui qui ne vous oubliera jamais et qui espère pouvoir bientôt pouvoir vous embrasser de très près.
Marcel
Bien le bonjour à la famille Speiler, Raymond Dufour, Simone et Marthe.