Les soixante-quinze petits lapins

Comme, décidément, le sommeil ne revient pas, je pense aux soixante-quinze petits lapins (kaninchen, c’est ainsi qu’on les appelle). Leurs jambes sont atrocement mutilées, elles sautillent en s’aidant de béquilles rudimentaires. Ces jeunes filles polonaises (la plus jeune, Bacha, a quatorze ans) ont subi des prélèvements d’os et de muscles, certaines jusqu’à six fois, et le chirurgien célèbre, professeur à l’université de Berlin, a contaminé les blessures avec la gangrène, le tétanos ou le streptocoque […]

Après la première série d’ « opérations », nos camarades avaient essayé de résister pour ne pas subir d’autres expériences. Mais elles ont été vite ligotées et enfermées dans le bunker où Gebhardt a poursuivi ses interventions, sans asepsie, sans anesthésie.

Geneviève de GAULLE-ANTHONIOZ, La traversée de la nuit, Paris, Editions du Seuil, 1998, pp. 10-11