Blockältester ou Kapo, sont des tyrans dans toute l’acception du terme. Ils sont sur leurs camarades esclaves tous les droits, celui de les supplicier, celui de les assassiner. Système incroyable et qui témoigne d’un génie du mal véritablement satanique, les bourreaux sont recrutés parmi les détenus. Les nazis avaient escompté que nous nous martyriserions entre nous ; ils ont pleinement réussi dans cette entreprise, au-delà de toute espérance.
Les bourreaux en question (au moins à Mauthausen et dans ses filiales) sont pour la plupart des repris de justice, des Allemands à triangle vert. Ils comptent cinq, six, huit ans de détention ; certains sont incarcérés depuis l’avènement du régime. Ils croupissent à peine vêtus, à peine nourris. Et voici qu’on les pare d’une belle livrée, qu’on les alimente, qu’on les arme. On leur donne les pleins pouvoirs. On flatte leurs instincts criminels. Leur amour-propre s’épanouit. C’est, pour eux, une sorte de revanche sur une société qui les a traités en parias – et dont ils vont pouvoir, enfin, se venger tout à leur aise.
Mais parmi les maîtres, il n’y a pas que les « triangles verts ». Pour exercer les fonctions de tortionnaires, on a toujours trouvé parmi les prisonniers politiques eux-mêmes plus de candidats qu’il n’en était besoin... Un beau jour, on confie à tel détenu polonais quatre camarades pour aller faire une petite corvée. Le soir, il n’en ramène que trois, dont deux éclopés. Il en a abattu un, et frappé les autres qui témoignaient d’une ardeur mitigée au travail. Le chef à l’essai bénéficie aussitôt du préjugé favorable. Le lendemain, on lui confie vingt hommes ; la semaine suivante il est promu Kapo. Sa carrière dans le camp est assurée.
La volupté de tyranniser son semblable est si contagieuse que tout gradé se révèle aussitôt un despote et une brute. Les Schreiber eux-mêmes – qui pourraient exercer anodinement leurs fonctions de secrétaires – et qui sont parfois des juristes, des ingénieurs, des officiers, prennent l’habitude de « schlaguer » : c’est la seule façon d’accroître leur prestige.