Seules les nouvelles qui s'infiltraient dans le camp [Kommando de Neuengamme, Helmstedt - Beendorf], nous soutenaient dans cette lutte contre l'usure quotidienne. Même si nous n'avions pas eu de journal par des voies clandestines, les modifications dans l'attitude de la plupart de nos S.S. eussent suffi à nous donner de l'espoir. « Mochette », « Roquet », devenues doucereuses, en vinrent à nous demander nos adresses en France et l'une d'elles alla jusqu'à solliciter une tenue rayée afin de passer inaperçue à l'arrivée des alliés. Inutile de dire comment elle fût reçue.
Aussi, ne fûmes-nous pas surprises lorsque le 6 avril, nos courageuses S.S. firent envelopper dans notre mouchoir un petit morceau de pain pour nous faire entreprendre, nanties de ce viatique, une marche de cent kilomètres qui devait nous amener aux horreurs alors insoupçonnées du camp de Bergen-Belsen. […]
Pendant trois jours nous marchons sur les routes de la « Luneburger Heide ». Nous avançons péniblement : depuis 16 mois, nous n'avions plus vu tant d'espace.
Notre troupeau se grossit d'un Kommando d'hommes de Stocken. Le nôtre, groupe lamentable, s'égrène sur des kilomètres. Les traînards sont impitoyablement massacrés. Nous dormons sur le sable ou le ciment et le morceau de pain emporté au départ a été vite mangé. Aussi le soir du troisième jour nous accueillons presque avec soulagement, l'annonce de l'arrivée dans un camp : nous aurons un endroit pour nous étendre et une soupe. […]
Le spectacle à l'aube s'avéra dantesque : partout des charniers, car le four crématoire ne fonctionnait plus, faute de charbon, des montagnes de cadavres, des immondices qui rendaient l'atmosphère irrespirable. C'est là que les Anglais nous trouvèrent le 15 avril. Malgré notre hâte de sortir de ce lieu infernal, nous dûmes freiner notre impatience. Nous devions encore y vivre dix jours, luttant contre la mort et impuissantes devant elle. Enfin, nous fûmes transférées dans les casernes des SS à 3 kms du camp, où nous attendîmes encore un mois notre rapatriement, car le typhus s'était propagé parmi nous et ne cessait de faire des ravages. Aussi notre joie à notre retour en France fut attristée par le souvenir de nos camarades mortes là-bas.