Nous étions dans un block réputé pour être un bon block. Le Block Altester (Blockman ou chef de block) était un triangle vert : Franck. Je l'ai rarement vu frapper un prisonnier, car il chargeait de ce travail le triangle vert Stubedienst Ernst (Ernest) qui armé d'un Gummi, faisait la police dans ce côté (A) du block. Heureusement pour nous, Franck avait à ses côtés, pour les grandes décisions, un certain Adolf, triangle rouge politique vraisemblablement communiste qui le conseillait sagement et lui évitait souvent de faire des hécatombes parmi nous.
La Schlafsalle était commandée par un droit commun (triangle vert) Gustav, chargé de la discipline du dortoir et de réveiller les dormeurs ce qui n'allait pas sans coups, mais il se servait pour cela de deux ou trois petites frappes polonaises, mignons des autres Kapos, chefs de extérieurs.
Parmi ceux-ci “Le gros bras” (triangle vert) Kapo de la carrière, avec ses 120 kilos, il imposait le respect et s'il était sage dans le block, à la carrière c'était un tueur qui à coup de manche de pioche avait plusieurs centaines de morts à son actif.
Il y avait aussi le Kapo de la Compagnie Disciplinaire (Straffkommando), à moitié fou, demeuré et bigleux, qui lui aussi avait ses deux morts par jour, nous l'appelions le "Cinglé". J'y reviendrai plus tard ayant eu le malheur de tomber sous sa coupe pour sabotage.
Un autre (triangle rouge) Allemand de 24 ans était aussi parmi l'état-major de ce block, il était Schreiber de camp et travaillait au bloc n°1 qui était le block administratif du KL. Il s'appelait Willy et était en camp de concentration depuis l'âge de 13 ans, ayant accompagné son père Député communiste, arrêté à l'avènement d'Hitler en 1933. Parlant un peu français, il chercha dans le block quelqu'un qui puisse lui donner des cours dans notre langue. J'acceptais de le faire et lui demandais d'améliorer mon allemand. Cela se passait au mois de juin 1944. Presque tous les jours nous nous entretenions tous les deux à une table à deux pas du lit du Blockmann. Les Kapos du block apprirent à me connaître et je ne reçus pas de coups de leur part. .... [...]
Je fus une fois pris dans un groupe passant à la fouille, il fallait être rapide. Dès qu'on se voyait mis de côté, il fallait soit jeter rapidement par terre l'objet indésirable, soit le planquer dans une cachette sûre. J'avais une lame de scie à métaux que j'avais transformé en couteau de 10 cm. Vite je l'enfonçais dans la doublure du calot belge qui me servait de coiffure et les bras en l'air, tenant légèrement mon calot entre le pouce et l'index de ma main droite j'attendis l'arrivée du SS. C'était justement un adjudant. Celui-ci me passa les mains le long du corps et remarquant mon matricule de poitrine F 9474 vit que j'étais Français et il m'adressa la parole en français
- Alors Français, ça va !
Je me félicitais déjà de ne pas avoir maugréé des insultes comme certains le faisaient imprudemment pensant que le SS. ne comprenait pas le français. Mais à sa question embarrassante, que répondre ? Je ne pouvais décemment pas lui dire que je considérais son KL comme une colonie de vacances agréable. Je répondis à sa question par une question, faisant celui qui ne connaissait pas les grades. Je lui dis :
- Je vous félicite Monsieur l'Officier, vous parlez très bien le français !
Sa réponse fut rapide.
- Tu parles ! J'étais contremaître chez Renault de 1934 à 1938.
Je n'ajoutais rien mais c'était sans doute un de ces gars qui avait préparé la guerre en sabotant notre effort de guerre juste avant 1938. Il n'examina pas mon calot au plus près, et je ne le revis plus. J'avais eu chaud.