Le gibet était installé sur des tréteaux

Le Kommando 147 était, en principe, un Kommando « d'aristocrates ». Mais les privilèges dont certains bénéficiaient ne concernaient en rien les autres détenus dont j'étais. Pour ceux-ci, le travail consistait essentiellement à réaliser tous les travaux de force relatifs à l'approvisionnement et à l'exploitation des laboratoires de chimie de l'immense usine dite de la « Buna ». Cela signifiait transporter des caisses de matériel de laboratoire, des sacs de ciment pour les travaux de maçonnerie qu'il y avait en permanence, déplacer des meubles, etc… Bref, il s'agissait en fait, durant cette période, d'un travail de déménageur qui aurait été supportable si nous avions été convenablement nourris, vêtus et chaussés, mais surtout si nous n'avions pas eu l'angoisse permanente due à notre situation précaire et à ce qui très probablement nous attendait.

De retour au camp, le soir, nous étions souvent confrontés avec la dure réalité de cette situation : l'ensemble du camp devait, avant la distribution de la soupe, assister à une ou plusieurs pendaisons. Il s'agissait généralement de jeunes polonais ayant soit effectué une tentative d'évasion, soit seulement tenté de se procurer à l'usine des vêtements civils en vue d'une éventuelle évasion.

Les Polonais étaient les seuls pour qui cela était envisageable, en raison des complicités dont ils pouvaient bénéficier hors du camp, et notamment de la proximité de groupes de partisans. Il faut se rappeler que nous étions, eux comme nous, tondus, tatoués, squelettiques et affublés d'un uniforme rayé de bagnard, donc risquant peu de passer inaperçus.

Les tentatives des Polonais étaient donc presque toujours infructueuses et la sanction en était la pendaison, devant le camp, pour l'exemple.

C'est ainsi que, dès la première semaine de mon affectation au Kommando 147, j'ai dû assister à une telle pendaison. Le gibet était installé sur des tréteaux, au milieu de la Place d'Appel et les 10.000 détenus, au fur et à mesure de leur retour de l'usine, étaient disposés tout autour. Quelques S.S. amenaient le condamné. La corde lui était passée au cou. On le hissait sur une chaise qui était brusquement retirée. Spectacle affreux (surtout lorsque le pendu se débattait longuement au bout de la corde) qui m'a évidemment impressionné la première fois. Mais hélas, de telles exécutions publiques avaient lieu assez fréquemment et, comme la plupart de mes camarades, j'ai fini par m'y habituer

Roland HAAS, Journal de déportation, témoignage rédigé durant l’été 1945, Archives de l’Amicale d’Auschwitz, pp. 75-76