Le réveil est ici à la même heure qu'au Struthof : quatre heures. Après avoir procédé à une toilette des plus sommaires et avalé trois quarts de litre de café ersatz, nous faisons connaissance avec le chantier : un tunnel ferroviaire qui date de la guerre précédente, qui a servi de champignonnière et dans lequel il s'agit d'installer une usine souterraine. Un autre Kommando de notre camp travaille à l'autre extrémité, à sept kilomètres. [...]
La seconde équipe, à laquelle je suis affecté, doit pratiquer dans les parois des excavations à des fins inconnues de nous. Le travail à la barre à mine, dans le rocher, est affreusement pénible. Chaque coup - j'en donne le moins possible - résonne douloureusement dans les bras et la colonne vertébrale. La poussière règne en maîtresse et s'infiltre partout : dans le nez, dans les yeux, dans les poumons. [...]
Le rythme imposé est infernal. Les kapos hurlent sans cesse et frappent, frappent sans arrêt, pour un instant de repos, pour un regard trop appuyé, pour rien, comme cela, en passant, pour s'entretenir la main. Les forçats qui sortent les déchets sur des wagonnets le font au pas de course. Ceux qui tombent sont relevés à coups de pieds, ceux qui s'évanouissent sont noyés de seaux d'eau et, s'ils ne reprennent pas connaissance à temps, sont achevés à force de coups. Les sentinelles frappent de la crosse ceux qui passent à leur portée ; même les civils allemands qui dirigent les travaux, pris par la folie ambiante, se mettent de la partie et frappent ou dénoncent les fautifs aux kapos qui frappent à leur place. Le soir après douze heures de travail dans ces conditions, nous rentrons en traînant nos morts sur des brouettes, vidés, au bord de la rupture.