Le camp de Czestochowa

[…] Czestochowa, notre deuxième camp, après Demblin. Je m’en souviens bien. Il était dirigé par un commandant SS particulièrement cruel et sanguinaire. Un adhérent zélé de la « solution finale ». Tous les déportés hommes et femmes travaillaient dans les usines de munitions. Nous y sommes arrivés, une année auparavant, évacués de Demblin, un jour avant la libération de ce camp par les troupes soviétiques.
L’évacuation s’était faite en deux convois, avec deux jours d’intervalle. Nous faisions partie du second convoi. Je me rappelle particulièrement de l’accueil que nous ont fait ceux qui nous avaient précédés. Ils nous regardaient débarquer, en tenant des propos incohérents et hostiles. Je n’ai pas compris immédiatement. Bientôt tout est devenu clair. Cette folie dans leur regard, ce déversement de paroles pleines de haine étaient en réalité des cris de douleur.
La tragique vérité, nous n’avons pas tardé à l’apprendre.
Dès leur arrivée, tous les enfants de leur convoi ont été séparés de leurs parents et très rapidement emmenés dans la forêt, où le chef SS a pris chaque enfant par les cheveux et lui a tiré une balle dans la tête.
Nous écoutions tout cela en silence, hébétés, alignés en rang, après notre débarquement. Une panique intérieure nous envahissait lentement. Est-ce le choc qui a provoqué cette amnésie totale de la suite des événements ? À quel moment l’ordre a-t-il été donné ?
Tous les enfants, nous avons été à notre tour séparés de nos parents et isolés dans un local.

Depuis combien de temps nous y trouvions-nous lorsque le militaire SS est entré ? […] le petit garçon réservé et timide que j’étais s’est mis à parler. Je me suis adressé à l’officier SS. Les mots jaillissaient en flots, émouvants et poignants de la part d’un enfant. Je ne sentais plus aucune entrave, j’étais dans un état second. Je me revois bien, me tenant devant lui sans crainte, le suppliant de m’épargner. « Je suis trop jeune pour mourir. » De ces mots, de cette phrase, je me souviens bien. Si étonnant que cela puisse paraître (ceci a été raconté à ma maman par un policier juif qui était présent), j’ai miraculeusement réussi à émouvoir l’officier SS.
Peu de temps après, je suis sorti, emmené par le policier juif, auprès des miens. Cet événement a été longtemps raconté dans mon entourage, avec beaucoup d’admiration. Je me sentais très fier…
Les autres parents ont vécu, pendant deux jours encore, dans l’angoisse et, grâce à un « second miracle », ont également retrouvé leurs enfants. Voici comment ils en ont réchappé.
La femme du commandant du camp, celui qui avait personnellement exécuté les enfants du premier convoi, était enceinte. Sa grossesse déjà très avancée. Que s’est-il passé dans l’esprit de cette femme ? Une fibre d’humanité se serait-elle éveillée en elle ? Ou une crainte superstitieuse d’une punition divine pour son futur enfant après tant de cruautés ? Toujours est-il qu’elle est intervenue auprès de son mari et a obtenu qu’il épargne ce second convoi d’enfants. […]

 

Henri ROZEN-RECHELS, Je revois… Un enfant juif polonais dans la tourmente nazie, Paris, Le Manuscrit, Collection Témoignages de la Shoah, 2012, pp.73-75