Le Bunker 2 - Chambre à gaz dite « Maison blanche » - Eté-automne 1942

Un matin, à peine arrivés, alors que nous nous apprêtions à ramasser pelles et pioches, un SS qui nous attendait ordonna aux sentinelles de continuer à marcher et de le suivre. Nous avons traversé toute la clairière et nous avons emprunté le chemin d'où venaient les wagonnets. Nous avons commencé tous à avoir peur et voilà que les camarades se mettent à réciter le Shema Israël. « Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est UN », etc. Ces prières, dites par des camarades qui parlaient l'hébreu et l'allemand, m'ont convaincu que nous allions être assassinés. Qu'ils n'avaient plus besoin de nous. Il me semblait que nous n'arriverions pas à destination et que, de peur, nous allions nous effondrer.

Nous sommes arrivés ainsi à une autre clairière. Il y avait deux grands Blocks en ciment d'au moins 20 mètres de largeur et autant peut-être de longueur. À proximité de ces Blocks, il y avait trois montagnes de cadavres. Une d'hommes, une de femmes et une d'enfants de moins de dix ans.

Les gars du Sonderkommando nous ont reçus comme les fois précédentes, à coups de pierres et en nous injuriant. Nous avons stoppé devant les grands tas de cadavres, et les Kapos nous ont fait comprendre qu'il fallait charger les cadavres sur les plateaux des wagonnets et les porter vers les fosses vides. Nous nous sommes précipités sur les wagonnets et nous nous sommes mis à travailler à une vitesse affolante.

Les Kapos nous assénaient des coups de bâton malgré notre promptitude, et un SS a abattu un camarade sans raison, par sadisme.

Au fur et à mesure que nous nous éloignions, nous ralentissions et prenions le temps d'observer l'effet produit en nous après cette horrible épreuve. Après cela, les SS n'avaient pas besoin de nous ordonner de faire vite, la peur nous avait donné des ailes, ils trouvaient même que nous allions trop vite et redoutaient un déraillement, qui du reste n'avait pas grande importance, Tous les camarades, dans ce cas, auraient donné un coup de main : ce qui comptait le plus, c'était de s'éloigner des chambres à gaz.

L’après-midi, nous avons placé les morts dans les fosses, bien alignés, tête-bêche pour contenir le maximum, et nous les avons couverts de terre sans chaux, sans autres produits. À un moment, les Kapos, les SS se sont éloignés des fosses pour s'occuper un peu plus loin. Alors, je me suis mis à pleurer et à crier aux cadavres : « Vous êtes mes frères, vous êtes mes frères. »

Je me souviens qu'après cette crise je me suis senti quelque peu soulagé, et j'avais moins mauvaise conscience, pensant qu'au moins un homme les avait pleurés. Tous les jours suivants nous avons fait le même travail.

Un matin, les portes des bunkers, comme ils les appelaient, étaient ouvertes. J'ai remarqué qu'il y avait des pommes à douche et, le long des murs, des portemanteaux. Je me souviens qu'un camarade m'a fait des gestes pour me faire comprendre qu'il ne fallait jamais regarder de ce côté-là, cela voulait dire aussi, si tu ne veux pas qu'une sentinelle te lire dessus, ne regarde pas. En effet, j'ai vu que tous les camarades travaillaient en tournant le dos aux bunkers, pour éviter de donner le moindre petit coup d'œil du côté des deux bunkers d'extermination.

Maurice BENROUBI, Le petit arbre de Birkenau, Paris, Albin Michel, 2007, pp.48-50