La sentence tombe : la Strafe !

Il y avait trois semaines que je réussissais à échapper au travail en m'éclipsant dès l'appel du matin et en me planquant de-ci de-là entre les blocks. Mais, une fois, il y a un ratissage général dans lequel je suis pris. Après une première raclée, je suis conduit devant le commandant. La sentence tombe : la Strafe ! [Kommando disciplinaire] Et me voilà au block 13 après avoir subi la formalité obligatoire d'entrée à la compagnie disciplinaire, une séance de schlague sur les fesses.

A ma première journée de marche, je ne trouve pas trop lourds les douze kilos de sable. Ça va, sauf que le soir je suis fourbu. C'est le lendemain que tout se gâte. J'ai des ampoules aux pieds et je ne peux plus mettre ces satanées chaussures. Il le faut, pourtant. La douleur est atroce et m'arrache des larmes tout au long des premiers tours. Puis le mal s'atténue quelque peu en marchant, mais le sac me paraît de plus en plus pesant. Le calvaire se prolonge plusieurs jours, car les ampoules ne guérissent pas vite sous les morceaux de chiffon qui nous servent de chaussettes russes.

Très régulièrement, une commission militaire vient vérifier l'état d'usure de nos chaussures. On nous aligne sur une file devant le block, le nez sur la paroi, et chacun soulève un pied après l'autre pour montrer les semelles aux officiers qui consignent leurs observations sur un carnet. Chaque fois, ce manège me rappelle les séances de ferrage des chevaux dans nos campagnes.

Armand SUZZI, in Sachso. Au cœur du système concentrationnaire nazi, par l'Amicale d'Oranienburg-Sachsenhausen, Paris, ed. Pocket, collection Terres humaines, 2005, pp. 309-310.