Lorsque nous arrivâmes au block 7, bien des choses avaient changé : par suite des besoins urgents de main-d'œuvre, les détenus n'étaient plus systématiquement exterminés, mais étaient affectés, tant qu'ils étaient suffisamment valides et jusqu'à épuisement de leurs forces aux travaux de l'usine, qui fut montée fin 1943 ; des kommandos extérieurs d'usine (Floeha Theresienstadt, Grafenreuth, Anspach), furent constitués ; d'autre part, les jeunes SS envoyés au front furent remplacés en nombre beaucoup moindre par des éléments plus âgés. Mais cette dernière mesure devait se retourner contre nous : à leur place, nous fûmes encadrés par les bandits de droit commun, les « triangles verts ». Leur attitude vis-à-vis de nous est suffisamment connue pour qu'il ne soit plus nécessaire que nous insistions. Leur sadisme, leur dépravation et leur brutalité naturelles firent qu'ils s'adaptèrent sans aucune peine aux méthodes d'avilissement systématique des. SS et les firent leurs. L'ancienneté fit le reste et il est nécessaire de l'ajouter, car tout interné, pour s'adapter et survivre à la vie atroce des camps devait nécessairement parvenir à une certaine indifférence devant les horreurs qu'il voyait journellement. C'est une des raisons pour lesquelles les Polonais, qui étaient les plus anciens détenus étrangers, étaient aussi ceux qui, dans une proportion de 90% étaient les plus brutaux et se conduisaient vis-à-vis des autres « rayés » d'une façon souvent aussi indigne que les bandits allemands. Il ne faut jamais oublier qu'à force de souffrances répétées, on arrive à perdre par suite d'une tension nerveuse ininterrompue ce sens du respect de la personne humaine qui fait la noblesse d'une civilisation.
Au block 7, le régime « Bettenbau » continuait d'être appliqué par les kapos dans la mesure où le nombre croissant des détenus le permettait. Plus d'un d'entre nous en fut victime et ce ne sera pas sans frissonner une fois de plus que les rares rescapés du block 7 qui liront ces lignes penseront au kapo Gressel « l'homme à la pipe », le « Schlafsaalkommissar » qui, doué d'un sens extrêmement aigu de l'observation, parvenait à repérer tous ceux qui, à ses yeux, faisaient mal leur lit, et qui, tous les matins et tous les soirs, leur infligeait de terribles « raclées » en hurlant des imprécations qu'aucune langue ne saurait traduire. Ajoutons que la vie d'usine était, par elle-même, harassante, analogue à celle des autres usines K.L. Plusieurs kapos s'étaient fait une habitude de tuer chacun leur homme tous les jours ; à la moindre incartade (homme surpris à être assis ou en train de fumer), 15 jours de « Strafkompanie » d'où on ne revenait que par miracle.