Une nuit d'août 1944, Jean Sobriale était à faire du béton quand il dit aux camarades son intention de s'évader. Ceux‑ci ont essayé de l'en dissuader, mais, malgré cela, il est parti, vêtu seulement d'une chemisette et d'un short. Quelques jours après, deux peut‑être, il a été ramené au camp, enchaîné comme une bête fauve. Je verrai toujours ce regard d'un gosse de vingt ans, comme nous, qui sait qu'il va mourir. Il avait été repris, à quelques kilomètres de Wansleben. Le chien d'un paysan l'avait éventé et celui‑ci avait été trop heureux de le conduire aux autorités militaires. Ce jour‑là, si ma mémoire est bonne, l'ordre a été donné de rassembler les Kommandos dans la grande salle qui était le long de la ligne de chemin de fer.
Nous étions tous bien alignés et les Français ont été invités à se ranger devant les autres détenus. À ce moment là, ils ont amené Sobriale, le dispositif de pendaison étant prêt, soit une poulie avec un noeud coulant au bout ; il a donc été pendu par strangulation. Un Allemand, dans un français à fort accent teuton, nous a lu la sentence : « Il a tenté de s'évader, il va être pendu pour ce forfait. Celui qui fera la même chose subira le même sort. » À ce moment‑là, il a passé la corde au cou de Sobriale qui a crié « Vive la France » et, ensuite, il l'a hissé au‑dessus du sol.
Tous les hommes du Kommando de Wansleben tremblaient comme un champ de blé agité par la brise ; ce fut un moment extrêmement cruel. Pendant toute la pendaison, les Français ont été tenus de saluer à l'hitlérienne (le bras droit tendu) : le summum de la vexation. Ensuite, les boches ont mis une table devant le corps. Tout le Kommando a été tenu de défiler devant Sobriale en le regardant dans les yeux. « Regarde lui », disait le Nazi. Les Allemands ont conservé quatre déportés pour le dépendre, le déshabiller et le mettre dans une mauvaise caisse. Je crois me rappeler que ceux qui ont été gardés sont ceux qui n'ont pas voulu le regarder. Je me souviens d'un Français, Pioteck (?) je crois qu'il a fallu le surveiller huit jours car il avait perdu la raison, et un petit Russe qui tremblait comme une feuille.
Jean Sobriale était originaire d'Épinal et était élève de l'Ecole Navale de Brest. J'ai écrit à sa mère en lui disant que son fils était mort en héros.