Nous fûmes immédiatement emmenés dans les deux blocks de quarantaine et alignés par rangs de cinq. En face se trouvaient les deux blocks de la « Schusterei »(cordonnerie), administrés par le kapo Humm, de triste mémoire qui, à l'heure actuelle, a des milliers de morts sur la conscience. Là travaillaient les « convalescents », c'est-à-dire les détenus qui, n'étant pas jugés suffisamment malades pour rester à l'infirmerie, mais pas assez valides pour un travail « normal », étaient passagèrement astreints à un travail « léger ». Malgré nos traits tirés par la fatigue et l'épuisement, nous avions bonne mine en comparaison de ces malheureux ; parmi eux beaucoup de Français. Aussitôt, bien qu'il nous fût interdit de communiquer, une conversation hâtive s'engagea : fin février était arrivé de Buchenwald un convoi de 750 Français (parmi lesquels Jacques Michelin) ; par un hiver qui, à Flossenburg, est toujours particulièrement rigoureux, hiver que les anciens du camp ne voyaient jamais s'approcher qu'avec une indicible horreur, ils furent envoyés à la carrière où, exposés à un vent terrible et glacial, et ne recevant à manger que leur pain noir et des pommes de terre pourries ou gelées, ils durent briser des pierres, pousser des wagonnets, glissant avec leurs mauvais sabots sur la pente escarpée, continuellement harcelés par les kapos qui, à la moindre défaillance, les achevaient à coups de pierre et de barres de fer. Ils souffrirent à tel point que, lorsque nous arrivâmes, la moitié d'entre eux était morts, et l'autre moitié pratiquement en train de mourir.
Nous apprîmes que notre camarade Tixier, étudiant clermontois qui fut victime de la rafle du 25 novembre, venait de mourir quelques jours auparavant au « Revier » (infirmerie), épuisé par les travaux de la carrière.