« En septembre 1944, je suis affectée à la Kinderzimmer (Block des nourrissons), Block 11. […] La Kinderzimmer est une pièce toute en longueur, avec deux lits de deux étages superposés, une fenêtre au fond, une table, deux corbeilles, une armoire, un poêle, un lavabo. Une petite Hollandaise s’agite et semble débordée. Elle me montre les enfants couchés au travers des lits. Quelle misère. Ils n’ont plus rien d’enfantin, leur figure fripée, minuscule, fait mal à voir. Dans les corbeilles, c’est pire : elle y a couché là les grands malades, d’invraisemblables petits vieux. Je suis atterrée, je ne m’attendais pas à cela. […]
Nous commençons à préparer une tétée : « Change seulement les très sales, il n’y a pas assez de couches. » Un à un, nous posons les enfants sur la table […] Ils sont à peine couverts : une chemise de toile, une couche, et nous les roulons chacun dans un châle pour les remettre aux mères qui viennent déjà taper à la porte. Nous portons nous-mêmes les bébés aux nouvelles accouchées, dans la Schlafsalle, parmi les autres malades. Au Tagesraum, les mamans venues des autres baraques allaitent leurs petits. Celles qui n’ont absolument pas de lait demandent des bouteilles. Alors nous remplissons les deux flacons qui servent de biberons avec la mixture qu’on nous octroie (lait mélangé d’une espèce de gruau – du schleim). Les enfants boivent très lentement. Quand les bouteilles sont vides, il faut les remplir pour d’autres. Lorsque la dernière mère nous apporte son bébé, il nous reste à peine une demi-heure pour mettre un peu d’ordre, puis nous recommençons une nouvelle tétée. Les enfants boivent ainsi avant l’appel, à 9 heures, à 13 heures, à 14 heures, à 19 heures. C’est trop peu, mais comment faire ? Vers 13 heures, nous mangeons un peu de soupe et nous reprenons le travail. Le soir nous sommes éreintées. »