Il n’y avait qu’une forme de solidarité : donner ce que nous avions

Je n’aime pas les faux héros. Je n’ai pas été un illuminé. J’avais plutôt le sens pratique. J’aimais examiner les choses calmement. J’ai tout fait dans le camp, tenu tous les rôles, parce que, tous, tous on jouait la comédie. En arrivant au camp, on était réduit au plus pur état animal. Je sais ce qu’est le plus pur état animal. Il n’y avait aucune organisation, d’aucune sorte, seul comptait l’instinct ; c’était tellement inimaginable.

Ensuite, en voyant qu’il était vivant, chacun s’organisait avec quelqu’un d’autre, et c’est ainsi que commençait la résistance collective. La première chose, c’est l’homme, le politique vient après. Tout le monde a participé à cette dernière phase. Et beaucoup ont risqué leur vie. La solidarité est venue facilement parce que nous sortions d’une guerre. Nous nous réunissions par affinités, pas précisément politiques. Nous nous retrouvions entre copains de quartier, entre amis de jeunesse. Il n’y avait qu’une forme de solidarité : donner ce que nous avions. Je me souviens d’un jeune Républicain qui, chaque fois que je mangeais, se mettait à côté de moi et regardait ma gamelle avec des yeux exorbités, grands comme des soucoupes, obsédés. Je ne pouvais plus supporter son visage, ses yeux et je lui donnais la moitié de ma ration. Je ne le faisais peut-être pas par solidarité mais parce que ce visage me faisait peur.

C’est comme ça, par instinct de conservation, que nous nous sommes organisés. Ensuite le sens politique de la survie collective est venu. C’est venu. C’était un monde nouveau et, peu à peu, nous avons pu créer une vie meilleure.

 

Juan de DIEGO HERRANZ, in Montserrat ROIG, Les Catalans dans les camps nazis, Triangle bleu - Génériques, 2005, p. 341