A Falkensee, les journées de travail étaient longues et pénibles

STAKEN. Ce fut la première période, elle fut la plus terrible… Nous étions logés à environ 3 km de Falkensee dans un ancien bâtiment d'un camp initialement affecté aux "travailleurs libres", que les SS avaient modifié pour nous recevoir par une clôture super renforcée. Chaque jour nous allions travailler en colonnes à la construction de Falkensee: 3 km le matin, 3 km le soir, chaussés de semelles de bois avec lanières, par tous les temps; ces parcours en eux-mêmes étaient déjà épuisants ; sur ce trajet nous avons vu des enfants nous jeter des pierres et des injures; nous passions devant une boulangerie avec ses odeurs de pain chaud, devant une charcuterie où pendaient les saucissons… Deux fois par jour c'était le même supplice ; de surcroît, notre colonie Française peu importante en nombre était très mal considérée par les colonies poIonaise et ukrainienne, inexistante pour les autres, des renégats quoi…

Pour nous les Français, tout va changer par l'arrivée de nouveau convois à Falkensee ; notre effectif s'amplifie par les 58000 venant d'autres camps et les 84 et 85000 composés de Résistants fraîchement arrêtés. A 7 heures, les colonnes de travail de Falkensee se formaient en rangs par cinq et c’était le départ, bien encadrés par nos anges gardiens. Certaines colonnes travaillaient à l'usine DEMAG toute proche ; d'autres à des terrassements. L'une d'elles fut affectée à la fabrication des V1 et V2 : nous n'avons jamais revu ces camarades. A la DEMAG, on usinait des pièces à la construction des panzers (tanks légers). Les journées de travail étaient longues et pénibles sous une surveillance sans relâche par des vorarbeiters souvent violents et inhumains ; si par malheur, sans raison, l'un de nous ne lui plaisait pas, il s'acharnait sur lui sans aucune sorte de réserve ; un certain nombre de nous ne purent résister à ces brutes. Après ces dures journées de travail passées sous la crainte des coups, c'était le retour camp ; et les interminables appels suivaient, toujours en colonnes sur cinq rangs ; nous attendions quelquefois plusieurs heures qu'un SS veuille bien nous compter. A chacun de ces appels du soir, complètement épuisés, des détenus s'affaissaient pour la dernière fois. Peu importe, puisque morts ou vivants le compte y était !

Marcel RADUREAU, Témoignage manuscrit. Fonds de l'Amicale des Anciens Déportés et Familles de Disparus d'Oranienburg-Sachsenhausen, déposé aux Archives Nationales.