« C’est un nègre espagnol »

Carlos – nous l’appelions ainsi, je crois qu’il avait un autre nom – fut appelé un jour par Ziereis et, entre deux éructations puisqu’il était ivre, celui-ci lui ordonna de se présenter le jour suivant à la Kommandantur, pour être portier de la salle où se réunissaient les chefs SS (Fürherheim). Il ordonna également qu’on lui taille un pantalon et une veste ornés de galons dorés et de boutons de même couleur. C’est-à-dire un uniforme identique à celui des portiers de casino ou des bouffons de cirque. Il ouvrait et fermait les portes, servant ainsi de curiosité et de prétexte à toutes sortes de vexations. Il était montré aux dignitaires qui visitaient le camp comme une créature bizarre. Comme un directeur de cirque montre les raretés de sa collection de fauves.

Il est difficile de rapporter ce que notre compatriote de couleur eut à supporter, tant fut ignominieuse l’attitude des SS. Pendant la visite du Reichführer SS Himmler, Ziereis ordonna à Carlos de se présenter devant lui, afin que son chef admire ce représentant d’une race inférieure à celles des « sous-hommes », dont nous étions, selon eux, les représentants les plus caractéristiques.

Ziereis fit une série de commentaires abominables sur notre compatriote et sa couleur de peau, accompagnant ses explications de plaisanteries qui provoquèrent l’hilarité hystérique de sa suite et termina par ce commentaire :

« C’est un nègre espagnol, oui, mais il descend des nègres d’Afrique et, surtout, d’une tribu d’anthropophages. Son père mangeait de la chair humaine quand il pouvait attraper un blanc. Ce que je dis est vrai. N’est-ce pas ? »

Carlos ne répondit pas, car il savait que s’il niait ce qu’avait dit Ziereis, il serait dévoré par les chiens quelques minutes plus tard.

L’élite des « surhommes » nazis poursuivit la visite en commentant ce qui précédait. Peu de temps après, sans doute en raison de la dignité que sut garder notre compatriote ce jour-là, Ils l’envoyèrent à la cuisine des SS pour faire la vaisselle et nettoyer les toilettes de la Kommandantur. Là, il dut supporter des vexations nouvelles encore plus violentes. Plus tard, ils prétendirent qu’il avait une maladie contagieuse qui mettait en danger la santé des SS et qu’il était nécessaire de le faire disparaître. Ils l’envoyèrent à la carrière en recommandant aux Kapo de l’employer aux travaux les plus pénibles afin qu’il survive le moins longtemps possible. Ce qu’ils firent en le mettant dans le groupe de travail le plus dur. Nous gardons le souvenir de son visage blanchi par la poussière de granit, mais aussi de la dignité qu’il montra toujours.

Notre solidarité nationale était inconnue des SS et des Kapo. Il fut protégé et caché dans la carrière au risque des pires représailles. […] Ensuite, quand les choses tournèrent mal pour les SS, nous pûmes le faire entrer au camp russe. Ainsi il disparut de la vue des SS. Notre ténacité et notre solidarité nationale firent qu’il sortit vivant de cet enfer, en 1945, lorsque l’Allemagne fut mise en déroute.

Mariano CONSTANTE CAMPO, Yo fue la ordenanza de los SS, Ediciones Martinez Roca, Barcelona, 1976, p. 90