C’est le moment que choisissent les SS pour désinfecter l’hôpital

DCe n’est pas pour combattre le mal - ni les poux, car nous n’en avons pas - mais les punaises qui grouillent dans nos baraques entièrement en bois.

Toute la nuit, ces bestioles circulent fébrilement, se laissent tomber sur les dormeurs.

Les détenus s’y habitueraient d’autant mieux que le froid engourdit les insectes. Leurs œufs, particulièrement résistants attendent pour éclore les beaux jours.

Rien ne pressait donc.

C’est le moment que choisissent les SS pour désinfecter l’hôpital.

Prétexte, bien sûr, qui permet de placer nus dans la cour, tous les malades, à même la neige, mourants, fiévreux, valides, par -12.

Ils attendent, une bonne heure, les Friseur chargés de les raser et de les tondre, un à un, puis la fin de la séance.

La cérémonie terminée, ils passent par fournées successives à la salle d’eau où ils sont lavés et frottés à l’eau froide, avant d’attendre, toujours dehors, que tout le monde ait bénéficié du même traitement.

Coucher du soleil.

Les hommes, maintenant propres comme des sous neufs, sont poussés dans les Block déjà combles, à 15 par lits à trois étages.

Pendant ce temps un SS conduit des hommes masqués, qui empoisonnent les punaises au Zyklon-B, ce même gaz qui tue tant de monde ici.

Un jour passe.

Les malades doivent regagner leur Block pour la nuit.

Comme ils sont réinfectés, on les renettoie.

Tous nus dans la neige une nouvelle fois.

Le temps de repasser à la salle d’eau, de sécher en plein vent, le crépuscule tombe.

Les corps transis sont badigeonnés au corrosif, arrosés au jet ; on rentre.

Le gaz est toxique, il en reste.

Toujours dans l’intérêt des malades, ordre est donné de garder portes et fenêtres grandes ouvertes.

Précaution justifiée.

P… fait des piqûres aux malades intoxiqués par le Zyklon-B.

Les occupants des couchettes inférieures, éloignés des portes et des fenêtres, meurent gazés à la cadence d’un par heure. 

Raymond CHANEL, Médecin en enfer, propos recueillis par Michel Chrestien, Librairie académique Perrin, Paris, 1970, pp. 261-262