Lors de notre arrivée en mai 1943, derrière notre Block 38, il s'en trouve un autre, entouré de barbelés. Le soir, enfermés dans le dortoir, nous apercevons ses occupants. Ce sont des Soviétiques affreusement maigres qui nous implorent, réclamant quelque nourriture et un peu de tabac. Par les fenêtres rapidement ouvertes, nous leur lançons quelques-unes de nos dernières cigarettes qu'ils fument avidement, à plusieurs. La détresse se lit sur leurs visages...
C'est de leur Block que j'entends une fois s'élever une triste complainte chantée dans une langue étrangère. Ce chant, je le connais, je l'ai appris à des veillées de camping en forêt de Fontainebleau, mais il est chargé ici de sa véritable signification et vous pénètre jusqu'aux entrailles : c'est le "Chant des Marais". Quelle force d'évocation et quel choc ! Entendre cet air naguère repris en toute liberté avec mes camarades, et se trouver soi-même dans l'un de ces camps mornes et sauvages où les premiers esclaves du régime nazi lui ont donné vie dans la douleur et l'espoir !