Ce fut pour l’ennemi une surprise considérable : les Juifs employaient des armes à feu !

 « Au début de l’année 1943, la terreur s’accrut dans toute la Pologne. Des bandes d’Allemands armés envahissaient les villages, arrêtaient jeunes, vieux, femmes, enfants et envoyaient des centaines de victimes vers une destination inconnue. C’était une sauvage chasse à l’homme.
En ce temps-là, le ghetto retrouva un peu de calme. On s’imagina, à tort, que les monstres avaient oublié les quelques dizaines de milliers de Juifs qui végétaient encore dans ces ruines. Brusquement, le 18 janvier 1943, à six heures du matin, les rues, où se hâtaient les forçats des usines et des ateliers, retentirent de cris sauvages, de détonations, de coups de sifflet, de ronflement de moteurs. Des hordes de brutes se ruèrent dans les maisons, en firent sortir tous les habitants, frappèrent et tuèrent ceux qui ne se rangeaient pas assez vite. Les groupes furent dirigés en files vers les centres de rassemblement. Les travailleurs qui attendaient l’ouverture des usines furent également emmenés. Aucun papier, aucune carte de travail ne furent de quelques secours.
L’opération se déroula si vite et si brutalement que nos groupements de résistance, coupés de leurs dépôts d’armes, ne purent se défendre utilement. Quatre groupes seulement, ceux des rues Zamenhof, Mila, Muranowska et Franciszkanska purent réagir. Ils ouvrirent un feu nourri, lancèrent quelques grenades à main, tuèrent une vingtaine d’Allemands. Ce fut pour l’ennemi une surprise considérable : les Juifs employaient des armes à feu ! Jusque-là, au grand jamais, rien de tel ne s’était produit au ghetto. Ils interrompirent leurs opérations, mais ils avaient déjà eu le temps de rassembler près de deux mille victimes. Plusieurs de nos camarades tombèrent, ce jour-là, au cours des combats. […]
Cette première résistance armée connut un retentissement énorme, aussi bien dans le ghetto qu’à l’extérieur. La première manifestation de nos groupes armés excita l’ardeur générale au combat et accéléra nos préparatifs de défense. […]
En janvier 1943, le ghetto vivait dans la fièvre des préparatifs. Toute la population se préparait. Chacun pensait : « Puisque, de toute façon, nous sommes voués à la mort, accueillons-la les armes à la main ! Vengeons-nous de nos bourreaux ! Ne leur faisons pas présent de notre vie ! »

GOLDSTEIN Bernard, L’ultime combat, nos années au ghetto de Varsovie, Zones, 2008, pp. 171-173