Au bout de deux semaines peut-être, je fus désigné pour le Kommando de Schachtbau, c’est-à-dire pour travailler au creusement des galeries souterraines où les usines évacuées des zones bombardées devaient être installées. Ce fut pour moi la période la plus dure de mon séjour à Melk. Nous travaillions dans le bruit assourdissant des marteaux-piqueurs avec lesquels on attaquait les parois de quartz du tunnel. Nous étions trempés par l’eau qui gouttait en permanence de la coûte et suintait des murs. Nous nous enfoncions jusqu’aux chevilles dans la gadoue. J’étais plusieurs jours d’affilée sans voir le soleil, car nous pénétrions dans le tunnel à l’aube et nous n’en ressortions que le soir. Evidemment, nous ne disposions d’aucune protection, ni contre le bruit infernal, ni contre l’humidité. […]
Personne ne tenait le coup plus de quelques heures avec les marteaux-piqueurs. Les engins étaient pesants, et il fallait constamment les soulever, les tenir à l’horizontale à hauteur de l’épaule, et c’était au-dessus des forces des hommes affamés que nous étions. Aussi, quand on le pouvait, on se relayait avec ceux qui remplissaient les wagonnets dans lesquels on évacuait le sable de quartz qui s’accumulait. C’était un va-et-vient permanent, insupportable. Aucun détenu n’a survécu à ce régime-là au-delà de quelques semaines. […]
Il n’y avait pratiquement pas d’aération. A chaque inspiration, on avalait de la poussière et du sable. Les poumons en étaient pleins, et aussi les cheveux, les yeux, la bouche.