8 mai 1945

8 mai 1945. Le soir. Terezin. Je me souviens. Il faisait nuit lorsque nous sommes arrivés en gare de Prague. Sur le quai, des hommes armés, en civil, avec des brassards. Des « partisans ». Nos sentinelles sont descendues et leur ont remis leurs armes, sans la moindre résistance. C’était la fin de notre cauchemar, mais nous ne n’avons manifesté aucune joie, trop épuisés et abattus. Combien étions-nous ? Je ne m’en souviens pas. La plupart des enfants avaient survécu, les autres, je n’en garde aucun souvenir.

Je me souviens seulement des morts. Ils s’entassaient les uns sur les autres, dans le wagon juste à côté du nôtre. Des corps squelettiques, allongés dans tous les sens. Yeux grands ouverts, regards fixes et vides. Morts anonymes. Sauf un corps. Celui de mon grand-père. Jusqu’à son dernier souffle, il ne pensait qu’à me protéger. Et pourtant, je n’arrive pas à retrouver les traits de son visage. Il m’a sûrement beaucoup parlé, je n’en garde qu’un très rare souvenir.

 

Henri ROZEN-RECHELS, Je revois… Un enfant juif polonais dans la tourmente nazie, Paris, Le Manuscrit, Collection Témoignages de la Shoah, FMS, 2012, pp.95-96