À 13 heures, l’ordre se confirme : couper les barbelés et partir

Des gars avec qui j’ai lié contact dès Compiègne travaillent dans l’usine avec moi. Ils sont déjà dans la résistance au sein du camp de Buchenwald. Nous créons des groupes par nationalité et je commande un groupe de six personnes, l’un des gars que je connais s’occupe lui aussi d’un groupe. Les Français, les rouges, les gars de la résistance du camp savent où se trouvent les armes allemandes.

Lorsque les [Alliés] bombardent les usines, le 24 août 44, les gars de la résistance saisissent cette unique opportunité due au manque d’attention et à la peur des SS pour faire rentrer trois mitraillettes incognito dans le camp.

11 avril 1945, vers 11 heures du matin, les Américains commencent à faire chauffer les moteurs des tanks. Ils semblent venir du côté d’Erfurt, au nord ouest de Buchenwald. Dans la centrale téléphonique, un Allemand oublie de tirer la clavette servant à transmettre les communications : «  attention, attention, les  « tomy » approchent. » Le temps que les Allemands comprennent que l’information provenait de leur centrale, la rumeur se répand : « Ça y est, ils s’approchent ! »

Les membres du comité de la résistance ont déjà envoyé leurs ordres aux Allemands résistants avec qui ils sont en contact à l’extérieur. Nous prenons les armes vers 12 heures 15, 12 heures 20. À 13 heures, l’ordre se confirme, couper les barbelés et partir. Nous ne réussissons pas à terminer parce qu’un gardien a surgi et actionné la manette pour remettre le courant électrique. Mais nous avons coupé suffisamment de barbelés pour sortir. Nous organisons un endroit par où sortir. Comme nous sommes le groupe le plus petit, une centaine d’Espagnols dont une vingtaine dans la résistance, deux ou trois du même Block que moi, deux en haut et moi en bas dans le dortoir, les chefs nous ont attribués une sortie spécifique. Deux ou trois heures avant que les soldats américains n’arrivent, Buchenwald est libéré par nous, les déportés. Le camp est à nous.

Il doit être quatre ou cinq heures de l’après-midi lorsque les premiers tanks américains pénètrent dans Buchenwald. Un tank passe puis s’arrête. En haut, le soldat nous observe et nous entendant parler en espagnol il nous interpelle : « Qu’est-ce que vous faites là ?  Qu’est-ce que c’est que ça ? ». Il ne connaissait pas l’existence des camps de concentration. Il a une mission et il n’a aucune idée d’où il se trouve.

« Nous sommes des Espagnols, nous sommes ici dans un camp allemand. » C’est un officier d’origine mexicaine. Ses parents parlent l’espagnol. Il nous donne alors tout ce qu’il a à manger sur lui. Je crois que nous mangeons le biscuit au chocolat avec le papier !

Manger nous fait mal. Beaucoup de médecins répondent présents parmi les déportés français. Nous sommes plus proches des Français que d’autres nationalités, ils nous apportent volontiers leur aide, et puis nous avons été arrêtés en France. Ils nous mettent en garde : « Il ne faut pas manger comme cela, il faut manger doucement ! »

Virgilio PENA, Transcription d'un témoignage oral, Archives de l'Association française, Buchenwald, Dora et Kommandos, 2014