Vous n'êtes plus qu'un numéro

[...] Nous recevons ensuite un matricule - une plaquette en zinc attachée à un cordon très solide, peut-être en nylon - que nous devons toujours porter autour du cou sous peine d’être punis. Le gars de corvée nous dit : « Voilà votre nom, voilà votre identité, vous n’êtes plus qu’un numéro ». Nos noms existent peut-être encore sur des registres, mais nous ne les portons plus. Le numéro de matricule sera en outre cousu sur le côté gauche de la veste et la jambe droite du pantalon, les tailleurs polonais y travailleront toute la nuit. Les numéros sont attribués sans aucun système reconnaissable. J’ai perdu ma plaque vers la fin, mais je n’ai pas besoin de chercher mon numéro, il est gravé dans ma mémoire : F (dans le triangle rouge pour les déportés politiques) 40314. Je ne le saurai jamais par cœur en allemand, les copains me font signe quand mon numéro est appelé. Je manque bien de louper à cause de ça le sinistre Kommando d’Husum. Vous n'êtes plus qu'un numéro.

René CHANTREL, Témoignage dactylographié, Amicale de Neuengamme, 2010-2011, p.12