Une fanfare de cirque grotesque

Matin, midi et soir, lors des départs et rentrées de Kommandos proches, une fanfare de cirque grotesque, d'une trentaine de musiciens, depuis la grosse caisse jusqu'au chapeau chinois, joue sans cesse "La garde sur le Rhin". Alignés par cinq, les détenus doivent défiler impeccablement, les bras fixes le long des hanches, sous peine des plus dures sanctions. [Les accents de cette marche ont pénétré si profondément dans les cerveaux qu’il n’est pas rare d’entendre jusqu’aux SS le siffloter pendant leurs heures de surveillance].
S'il y a des survivants après la libération, ils entendront cet air jusqu'à la fin de leurs jours. Vous verrez lors des pendaisons, le dimanche, l'effet que ça vous fera, nous a prévenus, lors de notre arrivée, un Kapo allemand.

Le grand appel du soir qui ne dure jamais moins d’une heure et au cours duquel l’éternelle fanfare composée de forçats allemands et polonais joue sans cesse les mêmes morceaux : « L’aigle double » et « La garde sur le Rhin » : c’est la technique parfaite de la machine à rendre fou. 

Louis MAURY, Quand la haine élève ses temples, Louviers, Imp. Gutenberg, 1950, pp. 52-53