Dès l’entrée, ce furent des cris et des coups pour nous faire aligner toujours par cinq, le long de l’enceinte intérieure. Fatigués par le voyage en train et la route que nous venions de parcourir à pied, environ 5 kilomètres, nous n’avions cependant pas le droit de s’asseoir et des SS munis de cravaches veillaient à ce que nous restions au garde-à-vous. L’accueil n’avait rien de rassurant, et un morne silence fait de lassitude et d’attente anxieuse pesait sur nous, quand apparurent des hommes portant une raie large de deux doigts sur la tête, marqués par des bandes de peinture rouge sur la veste et le pantalon. Ils venaient faire la rafle des bijoux, des montres, de l’argent qui pouvaient nous rester. Offrant des cigarettes et de l’eau, ils prétendaient que les SS enlèveraient tout, pour ravir eux-mêmes, ce qui avait de la valeur. Or nous avions une soif terrible et j’ai vu acheter des verres d’eau, d’une chevalière, de plusieurs billets de mille francs, de magnifiques montres.
La nuit s’avançait et nous étions toujours debout, harassés de fatigue, tombant de sommeil, nous n’avions pu en effet dormir dans les wagons. Il nous fallut passer devant les SS chargés de nous dépouiller entièrement et ceux qui voulaient garder quelque souvenir familial, comme une photographie conservée dans un étui à lunettes, ou religieux comme un chapelet, une médaille, étaient frappés et injuriés d’importance, tandis que, sur ordre des SS, les civils, à la large raie sur le crâne et aux bandes rouges sur les vêtements, les leur enlevaient. Jamais je n’ai assisté à une telle poussée de haine frénétique contre tout ce qui est sacré : familial ou religieux. A beaucoup leurs lunettes mêmes furent enlevées de dessus le nez. Un Kapo auquel je demandais si je pouvais garder mon chapelet, après que je lui eus expliqué ce que c’était, me répondit :
« Prier… ? Tu prieras avec ton c… »