On tirait de la machine humaine tout ce qu’elle pouvait rendre (Ebensee)

Aussi bien, sur les chantiers, notre vie n’était-elle comptée pour rien : on tirait de la machine humaine tout ce qu’elle pouvait rendre, tout le potentiel d’action qu’elle avait accumulé dans ses réserves en d’autres temps, et sans se préoccuper de compenser, en aucune façon, par une alimentation appropriée, les pertes éprouvées au cours du travail quotidien. Un homme était vidé en quelques mois de sa substance nerveuse et musculaire, puis il était rejeté comme un déchet, passait au Revier où il connaissait la mort lente, ou au Block 23 où l’exécution était plus rapide, ou encore dans la chambre à gaz ou dans l’officine des piqûres intracardiaques d’essence d’auto… Le suivant prenait sa place et subissait le même sort. La durée maxima d’un ouvrier était de six mois. Quelques-uns, mieux armés ou plus habiles tenaient huit et même dix mois ; un an constituait une véritable performance. Je puis affirmer qu’après deux ou trois mois de travail à Mauthausen, Ebensee, Melk ou Gusen, les plus résistants avaient perdu, selon leur complexion, de 15 à 40 kilos et devenaient incapables d’un effort prolongé.

Maurice DELFIEU, Récits d’un revenant, Mauthausen-Ebensee 1944-1945, Publications de l'Indicateur universel des PTT, 1946 et 1947, p. 82