Partout des monceaux de cadavres

[…] Les malades et les faibles, comme moi, ont été concentrés dans un train, le train de la mort. Ce train a fait la navette 8 jours pour nous conduire à 60 km du point de départ. Nous étions à 80, 90, 100 par wagon. Tous des malades, pleins de poux, entassés les uns sur les autres, presque pas de pain, pas d’eau. Il y avait des opérés de 2 ou 3 jours qui hurlaient car il y avait toujours quelqu’un qui s’appuyait sur leur moignon. La nuit, impossible de dormir. […] Enfin nous sommes arrivés à une gare, en pleine brousse. […] Sandbostel, on ne peut imaginer pire horreur. Une sinistre mare d’eau noirâtre sur laquelle flottent des cadavres. Et c’est cette eau que boivent les déportés. Autour de la mare, des baraques sans porte ni fenêtre, et dans chaque baraque, 800 déportés à même le sol. Un épais tapis vivant aux mouvements reptiliens dans les excréments et les immondices. Les cas de cannibalisme sont fréquents. Il y a 300 morts par jour. Partout des monceaux de cadavres, certains soigneusement alignés. Et de temps en temps, une main qui bouge, un œil sans regard qui s’ouvre. […] Le camp est délivré le 29 avril 1945.

Pierre FERTIL, « Cauchemars d’un déporté de Neuengamme », Cahier des Archives du Calvados, 2007, pp.17-18