Marie-Elisa Nordmann-Cohen

Nous savions que l'état de santé de Marie-Elisa s'était sensiblement aggravé. Mais cela n'empêche pas le choc si douloureux ressenti par ses amis et par ses compagnes de Birkenau quand elle nous a quittés. C'est cinquante ans de notre vie. Notre convoi de 230 déportées de France, celui des 31000, y est arrivé le 27 janvier 1943. Ensemble nous avons découvert l'indicible horreur : les chambres à gaz. Il ne nous a pas fallu 24 heures pour constater que ce que nous n'osions croire était une réalité. Marie-Elisa a su que sa mère avait été gazée à la sortie des wagons avec tout un convoi arrivé quelques mois avant nous.

Très vite nous avons appris ce qu'était un camp d'extermination nazi, extermination systématique pour les Juifs et les Tsiganes, mais aussi mortalité effroyable pour les patriotes de pays occupés.

Marie-Elisa était née à Paris en 1910. Elle était docteur ès science et ingénieur chimiste. Elle est en 1942 attachée au Centre National de la recherche scientifique. Antifasciste de longue date, elle adhère au Parti communiste en septembre 1940. Dès cette période, avec le physicien Jacques Solomon et le philosophe Georges Politzer elle participe à la rédaction et à la diffusion des éditions clandestines de l’« Université Libre » et de « La Pensée Libre ». Elle aide à la création du « Front National Universitaire » en prenant des contacts avec des professeurs de la Faculté des sciences et de l'Ecole des Hautes Etudes. Mais à la même époque, elle procurait du mercure à son amie France Bloch dont celle-ci se servait pour préparer des explosifs. Marie-Elisa a été arrêtée le 16 mai 1942 (le même jour que France Bloch) par la police de Pétain et livrée avec 72 autres de la même affaire à la Gestapo.

Elle a connu la Santé, Romainville, Auschwitz-Birkenau et Raisko, puis Ravensbrück et Mauthausen où elle a été libérée le 22 avril 1945.

Après son retour elle reprend son activité professionnelle au Commissariat à l'énergie atomique, puis dans l'enseignement et la recherche.

En même temps elle considérait que ceux et celles d'entre nous qui avions eu l'extraordinaire chance de rentrer avaient un devoir de solidarité tant vis-à-vis de nos camarades malades que des familles des si nombreux disparus.

Elle fait partie des fondateurs de l'Amicale d'Auschwitz dont elle est devenue présidente […] en 1950 et depuis 1991 présidente d'honneur. Elle pensait que nous avions un devoir au moins aussi impérieux : celui de témoigner. Le premier livre de témoignages édité par l'Amicale daté de 1946, tiré à 10 000 exemplaires.

Très soucieuse de transmettre à la jeunesse les enseignements de notre expérience e t d e lutter contre toutes les falsifications d e l'histoire, Marie-Elisa était membre du jury du Concours national de la Résistance et de la Déportation.

Elle était membre de la vice-présidence de la FNDIRP e t du Conseil d'administration de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, décorée de la Croix de guerre et Officier de la Légion d'honneur.

Mais surtout, tous ceux et celles qui l'on connue, garderont le souvenir de son courage, de son intelligence si ouverte, de sa sensibilité, de cette faculté qu'elle avait de s'intéresser personnellement à chacun. Elle rayonnait d'une lumineuse chaleur humaine. Quelle belle figure que Marie-Elisa !

Que Francis Cohen, ses enfants et ses petits-enfants trouvent ici l'expression des condoléances émues et fraternelles de l’Amicale d’Auschwitz.

Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER, « Marie-Elisa », Après Auschwitz, n°249, Septembre 1993, p.2