Les sept coups restant seront donnés avant la soupe, décréta le nazi (Ebensee)

Vingt coups de bâton, décida le SS. J’assisterai à l’application de la peine.

On disposa, comme de coutume, un escabeau au milieu de la pièce et le patient fut couché, à plat ventre, les reins à nu, les bras et les jambes maintenues en bonne position et la tête coincée entre les cuisses d’un aide-bourreau. Puis un Russe, un véritable colosse, s’avança, armé d’un manche à balai, et, après avoir pris son élan, asséna sur les fesses de Benito un vigoureux premier coup.

Un hurlement de douleur se fit entendre. Le SS, fronçant les sourcils, déclara que toute nouvelle plainte entraînerait l’octroi de dix coups supplémentaires.

Au troisième coup, le manche à balai cassa net. Pendant que le bourreau de mettait en devoir d’en chercher un autre, le pauvre Benito, qui ne brillait ni par le stoïcisme ni par la dignité, se traînait en larmes aux pieds du sous-officier ; celui-ci se contenta de le tenir à distance avec de légères tapes de son nerf de bœuf.

Le bourreau revint avec un nouveau bâton ; mais il était dit que la cérémonie donnerait lieu à des incidents. Au septième coup, le bâton cassa, tant le Russe portait d’ardeur à la besogne, et le patient profita encore de l’intermède pour essayer d’attendrir son juge impitoyable.

Le Russe alla chercher un nouveau gourdin, et la danse recommença. Mais voilà-t-il pas que vers le quinzième coup, Benito au comble de la terreur et de la souffrance, ne put maitriser son sphincter…Une décharge fluide partit d’un jet et aspergea copieusement le … !

Au vingtième-troisième coup, le patient s’arrêta de gémir ; ses bras et ses jambes se détendirent, sa croupe retomba et sa tête piqua du menton.

Etait-il mort ? Evanoui ?...

Le SS s’approcha, tira quelques bouffées de sa cigarette et, quand le bout de celle-ci fut bien en ignition, il l’appliqua sur la paupière supérieure du pauvre Benito qui n’eut pas un tressaillement. Pourtant le cœur battait encore.

Les sept coups restant seront donnés avant la soupe, décréta le nazi.

Ainsi fut fait.

Mais le lendemain, Benito partait vers le crématoire, enveloppé dans une couverture, dans l’allègre balancement de la civière.

Maurice DELFIEU, Récits d’un revenant, Mauthausen-Ebensee 1944-1945, Publications de l'Indicateur universel des PTT, 1946 et 1947, pp. 130-131