La pâtée des chiens SS

Le compatriote Tomas qui, comme cela a déjà été dit, était chargé de nettoyer le chenil et de nourrir les bêtes, devait se rendre chaque jour à la cuisine des SS afin d’y chercher la pâtée des chiens. Elle était moins bonne que la nourriture des SS mais elle était de meilleure qualité que les cochonneries qui étaient administrées aux prisonniers.

Il y avait parfois des pâtes ou des pommes de terre cuites avec des morceaux de viande de bœuf et les carcasses dont la viande était destinée aux SS. Bien cuisinée, traitée avec une extrême propreté, comme l’était la nourriture destinée aux SS, telle était la nourriture des chiens. Au début, Tomas était accompagné de deux SS, et, pour porter la marmite, il se faisait aider par l’un des Espagnols qui était employé au Baukommando. Plus tard, les SS l’autorisèrent à y aller sans qu’ils soient présents, seulement accompagné par différents compagnons. Et ce fut ainsi que nos compatriotes imposèrent aux chiens leur première diète. Il y avait une marmite de vingt-cinq litres pour les dix ou douze chiens, et, utilisant le récipient d’aluminium qu’ils portaient à la ceinture, certains d’entre eux « pêchaient » dans la marmite des rations qu’ils avalaient en chemin. Très vite, la nouvelle circula parmi les Espagnols qui travaillaient dans le Kommando des maçons ; de façon comique, on voyait toujours une procession de cinq ou six compatriotes qui suivaient la marmite à la trace. Au début la chose n’eut pas de conséquences, puisque prélever cinq ou six rations ne représentait pas grand-chose pour les chiens. Pourtant, peu à peu, la procession s’allongea tout comme le nombre de rations pris dans la marmite. Les prélèvements prirent une telle ampleur que bientôt il ne resta plus que les os pour les chiens. Ce fut ainsi que, paradoxalement, nous vîmes les chiens SS maigrir pendant que quelques Espagnols du Baukommando gagnèrent quelques grammes, leurs joues violacées reprenant en partie leur couleur normale. Les SS découvrirent la supercherie en constatant le manque de brio et de férocité de leurs bêtes. En recherchant la raison de cette faiblesse, ils finirent par soupçonner le truc des Espagnols qui aurait pu se terminer en catastrophe pour ceux qui étaient pris la main dans le sac. La chose se termina par des coups administrés à certains d’entre eux, à Tomas et Antonio en particulier, sans oublier votre serviteur.

Mariano CONSTANTE CAMPO, Yo fue la ordenanza de los SS, Ediciones Martinez Roca, Barcelona, 1976, p.90