Désormais, ma seule préoccupation a été d’éviter ce SS

J’ai transporté une pierre qui pesait cinquante ou soixante kilos, et si je suis arrivé vivant en haut, ce fut par un vrai miracle. Le SS m’avait reconnu parce que je portais des lunettes, il me dit :

- « Tu étais à l’entrepôt de vêtements, hein ! »

C’était un de ces jeunes SS teigneux. Il savait que j’étais passé par l’Effektenkammer. Il m’a dit que jusqu’à présent je me l’étais coulé douce, mais que j’allais voir ce que j’allais voir. Il m’a donc appelé, je m’attendais à ce qu’il me roue de coups, mais il m’a simplement demandé de me mettre une pierre énorme sur le dos. On a dû m’aider à charger la pierre. Et me voilà gravissant les marches ; je me disais que si la pierre tombait ou si je tombais, j’étais perdu. Arriver en haut ou mourir. Si la pierre tombait, elle pouvait m’écraser, ou bien je ne pourrais plus la remettre sur le dos. Le fait est que je suis arrivé en haut ! Désormais, ma seule préoccupation a été d’éviter ce SS. Je me débrouillais pour qu’il ne soit pas là quand je travaillais à la carrière. Je me cachais car je savais que si un jour je devais encore transporter une pierre comme celle-là, je n’aurais jamais l’occasion de le raconter.

 

Joaquim AMAT PINIELLA, in Montserrat ROIG, Les Catalans dans les camps nazis, Triangle bleu - Génériques, 2005, p. 309