Des Juifs des Brigades internationales

L’appel de ceux qui étaient en quarantaine se prolongeait tous les soirs bien plus que dans le reste du camp et on pouvait voir depuis nos Block le lieu des fusillades. En règle générale, tu entendais dans les vingt-cinq décharges et juste après les coups de grâce.

 – Ce sont les résistants de Yougoslavie, nous disaient les vétérans du camp.

Mais c’est toute la Yougoslavie qui devait être résistante, pace que la plupart de ces gens étaient des vieillards, des femmes et des enfants. Pendant ce temps-là, nos camarades tombaient, et aussi ceux des Brigades Internationales. Il y en avait un groupe, c’étaient des Juifs ; des gens très cultivés et très intelligents, pas mal d’entre eux avaient été blessés pendant notre guerre et ils étaient condamnés à mort dès leur arrivée au camp. Ils savaient eux-mêmes qu’ils ne pourraient pas durer longtemps. Ils allaient travailler à la carrière et les SS n’arrêtaient pas de les provoquer. Ils leur faisaient transporter les plus grosses pierres et, après, ils les faisaient courir avec la pierre, comme ça gratuitement. Les SS s’amusaient beaucoup en les torturant et tu les voyais toujours, le visage bousillé, les yeux gonflés, les dents cassées, la peau violette… jusqu’à ce qu’un jour on les a vus s’avancer vers les barbelés électrifiés en se tenant bien fort, ils avançaient en chantant l’Internationale, la tête bien haute et sans ciller. La sentinelle leur a dit « Halt ! » mais eux rien, ils ne reculaient pas, au contraire, ils continuaient à avancer, avancer, et nous on les regardait et on avait le cœur qui s’arrêtait de battre, et on entendait leur chant, de plus en plus fort et assuré, ils avançaient vers les barbelés, ils étaient déjà tout près quand une rafale de mitrailleuse les a tués… aujourd’hui encore, ça me semble impossible que des hommes comme eux, qui ont tellement donné pour le bonheur des hommes, soient morts, je les revois encore tels qu’ils étaient, avec cette confiance dans l’avenir, une confiance tellement simple que tu les respectais sans même t’en rendre compte. C’était de vrais hommes.

Jacinto CORTES GARCIA, in Montserrat ROIG, Les Catalans dans les camps nazis, Triangle bleu - Génériques, 2005, p. 253